Les aspirations des clients constituent une cible sur laquelle les entreprises doivent focaliser leur attention. En substance, une aspiration est un état espéré. Accompagner les clients dans leur désir d'atteindre cet état est un des plus sûrs moyens d'accroître les chances d'une innovation de percer sur un marché ou d'une entreprise de doubler ses concurrents. Afin d’illustrer mes propos, j'ai sélectionné deux cas d'entreprises. La première a développé un produit aux qualités techniques et économiques exceptionnelles, mais sans s'intéresser aux aspirations des clients ciblés. La seconde a décidé de mieux comprendre les aspirations de ses clients pour identifier des pistes d'innovation pour sa nouvelle génération de produits.
Un produit exceptionnel... au futur incertain !
Il y a quelques années, j'ai accompagné une startup du secteur des équipements de la ferme. Sa cible de clientèle principale : les éleveurs de bovins. L'entreprise a développé un méthaniseur de petite taille, très innovant, et permettant de transformer les déjections des vaches en méthane, puis par combustion en électricité. Celle-ci est alors revendue à EDF ou directement utilisée sur l'exploitation. Le dispositif produit également de la chaleur qui peut être utilisée pour le chauffage des bâtiments ou d'équipements collectifs, comme un gymnase, une piscine ou une salle des fêtes. Le retour sur investissement est d'autant plus élevé que la chaleur est pleinement valorisée. La combustion du méthane produit également de l'eau, du gaz carbonique et un digestat, lesquels peuvent également être valorisés. Cet équipement propose une "value for money" exceptionnelle. Ainsi, une demi-heure de travail environ par jour permet au propriétaire de cet équipement de gagner un revenu net de 1200€ par mois. À la condition, bien évidemment, que l'exploitant dispose d'un fumier de vache de qualité et suffisamment abondant, 40 vaches sont nécessaires. Une aubaine pour des éleveurs de vaches laitières dont le travail horaire n'est jamais aussi bien rémunéré.
Il y a quelques années, j'ai accompagné une startup du secteur des équipements de la ferme. Sa cible de clientèle principale : les éleveurs de bovins. L'entreprise a développé un méthaniseur de petite taille, très innovant, et permettant de transformer les déjections des vaches en méthane, puis par combustion en électricité. Celle-ci est alors revendue à EDF ou directement utilisée sur l'exploitation. Le dispositif produit également de la chaleur qui peut être utilisée pour le chauffage des bâtiments ou d'équipements collectifs, comme un gymnase, une piscine ou une salle des fêtes. Le retour sur investissement est d'autant plus élevé que la chaleur est pleinement valorisée. La combustion du méthane produit également de l'eau, du gaz carbonique et un digestat, lesquels peuvent également être valorisés. Cet équipement propose une "value for money" exceptionnelle. Ainsi, une demi-heure de travail environ par jour permet au propriétaire de cet équipement de gagner un revenu net de 1200€ par mois. À la condition, bien évidemment, que l'exploitant dispose d'un fumier de vache de qualité et suffisamment abondant, 40 vaches sont nécessaires. Une aubaine pour des éleveurs de vaches laitières dont le travail horaire n'est jamais aussi bien rémunéré.
Ce dispositif a été présenté à plus d'une centaine d'éleveurs. Une très grande majorité d'entre eux louèrent les qualités et les performances de cet équipement. Cependant, très rares sont les éleveurs qui passèrent effectivement à l'acte. En effet, pour la plupart d'entre eux, leurs aspirations n'étaient pas alignées avec la proposition de valeur de l'entreprise. Une série d'interviews a permis d'identifier plusieurs types d'éleveurs selon leurs aspirations. Cette typologie, fondée sur les aspirations, ne recoupe que très partiellement une segmentation construite à partir des caractéristiques sociodémographiques des clients.
Selon cette classification, un premier groupe d'éleveurs est composé d'exploitants relativement âgés, proches de la retraite, et souvent désabusés par leur profession. Leurs enfants ont souvent fait le choix d'une autre carrière. Ils se sont éloignés d'eux et il y a peu de chances qu'ils reprennent leur exploitation. Un grand nombre de ces éleveurs se projettent dans une vie de retraité, heureuse et bien méritée, bien qu'encore relativement lointaine. Ils considèrent la plupart du temps leur exploitation comme une prison et la retraite, la libération, comme une période dorée. Mais afin de partir en retraite dans de bonnes conditions, ils doivent au préalable trouver un repreneur pour leur exploitation. Un méthaniseur représente un investissement substantiel. Il s'agit également d'une dépense non nécessaire au fonctionnement d'une exploitation. Bien que cet équipement apporte une valeur supplémentaire à l'exploitation, il représente, pour eux, surtout un frein à sa reprise par un jeune agriculteur. Un prix de vente de leur exploitation faible leur semble favoriser les chances d'une reprise rapide et donc également leurs chances de partir à la retraite. À l'évidence, un méthaniseur surenchérit le prix de l’exploitation. Il représente donc pour ces exploitants un obstacle à leur projet de départ en retraite.
Un second groupe d'exploitants agricoles est constitué par des personnes plus jeunes que celles appartenant au premier type. Elles souhaitent, contrairement aux précédentes, développer leur entreprise agricole. Elles seraient donc, a priori, favorables à l'achat d'un équipement leur permettant de tirer un meilleur parti des déjections animales. Cependant, un coup d'œil à leur programme de travail quotidien montre que leur emploi du temps est particulièrement chargé. Ces exploitants se décrivent d'ailleurs souvent comme "esclave" de leur exploitation. Leur emploi du temps est réglé par une succession ininterrompue de travaux, du levé jusqu'au coucher du soleil. Ils regrettent de ne pas pouvoir passer suffisamment de temps avec leurs proches ou bien encore de s'adonner à quelques loisirs. Pour eux, une demi-heure de travail, la durée quotidienne moyenne nécessaire à l'alimentation en fumier du méthaniseur et à sa maintenance, représente, dans une journée déjà bien longue de dur labeur, une charge de travail supplémentaire qu'ils ne sont pas prêts d'accepter.
Sur tous les types de clients potentiels, les aspirations de la plupart des groupes n'étaient pas, ou ne pouvaient pas être facilement, alignées avec les bénéfices produits par l'usage de cet équipement. Les clients aux aspirations compatibles avec l'offre - il y en avait certains - étaient insuffisamment nombreux sur une région pour satisfaire les aspirations des distributeurs, une des composantes essentielles de l'écosystème de l'entreprise. En fin de compte, l'offre, malgré des caractéristiques techniques et économiques exceptionnelles, ne rencontra jamais son marché en France : elle ne satisfaisait pas aux aspirations des éleveurs ni à celles des distributeurs d'équipements agricoles.
Les éleveurs constituent pour cette entreprise un marché BtoP, à la croisée du BtoB et du BtoC. En effet, les releveurs achètent ces équipements pour leur entreprise (BtoB) mais ils en seront les principaux utilisateurs (BtoC). Le client est ici tout à la fois le prescripteur, l'acheteur, le décideur et le principal utilisateur.
Des aspirations inspirantes
A contrario, lorsqu'une entreprise consacre du temps et de l'énergie pour mieux comprendre les aspirations de ses clients, elle peut obtenir, pour un coût de développement parfois insignifiant, de beaux succès. En voici l'illustration. L'entreprise est, comme la précédente, active dans le secteur des équipements. Ses produits permettent de réaliser des analyses physico-chimiques de produits alimentaires, bruts ou élaborés, selon des méthodes standardisées. Les résultats des analyses obtenus avec ces équipements peuvent ainsi être utilisés dans des procédures commerciales internationales, par exemple lors de l'achat ou de la vente de grains. Le marché est en phase de maturité. Tous les clients sont déjà équipés. Le marché domestique est donc uniquement constitué par le remplacement d'équipements usagés, la vente de pièces de rechange, les réparations et les contrats de maintenance. Les concurrents, peu nombreux, sont confrontés aux mêmes challenges. Seuls les marchés des pays en développement, où le taux de pénétration est faible, offrent des perspectives de croissance intéressantes. Les places sur ce marché sont particulièrement disputées. Comme la méthode d'analyse est standardisée, les équipements doivent reproduire de manière précise la méthode. L'entreprise ne peut innover que dans la périphérie du matériel.
La direction marketing de cette entreprise mena une série d’études visant à mieux comprendre comment les clients utilisaient leurs produits. Son objectif : améliorer les produits. Pour ce faire, l'équipe marketing observa dans des situations réelles, les plus diverses possible, comment les clients utilisaient leurs équipements. Ces observations furent complétées par de très nombreuses interviews des usagers, à chaud comme à froid. La plupart des observations et des interviews produisirent des résultats sans grand intérêt pour l'entreprise : les usagers louaient la qualité, la robustesse, l'ergonomie et la facilité d'usage des équipements de l'entreprise. Cependant, les observations et les interviews issues d'une situation singulière produisirent des résultats intéressants. Les utilisateurs travaillaient tous dans des coopératives agricoles au stockage du grain. Sur la base des résultats d'analyses des grains, ils devaient prendre des décisions particulièrement anxiogènes. À savoir, au moment de la récolte, ils doivent décider d'envoyer le grain récolté par un agriculteur adhérent dans un silo plutôt que dans un autre. L'affectation à la cellule d’un silo s'effectue en fonction la qualité des grains récoltés. L’objectif est d'atteindre dans chacune des cellules de stockage du silo une qualité la plus homogène possible. Le prix des grains dépend de leur qualité. À la sortie du silo, la qualité d’un lot, et donc sa valeur marchande, est déterminée par la proportion des grains de moindre qualité. Diluer des grains de grande qualité dans une cellule de contenant des grains de moindre qualité constitue un manque à gagner. Polluer un lot de grains de grande qualité avec un apport de grains moins bien notés est tout aussi problématique. Lors de la récolte, une noria de bennes effectue un va-et-vient incessant entre les champs où opèrent les moissonneuses-batteuses et les silos. Les gestionnaires des silos doivent alors promptement affecter le chargement des bennes qui livrent les grains au silo à cellule de stockage la plus appropriée. À cet instant de leur vie professionnelle, le stress et l'anxiété culminent. Cette période est considérée comme déplaisante par un grand nombre de gestionnaires de silos, pour les autres elle est excitante !
Cette anxiété, fondée sur la crainte de commettre une erreur d’affectation, est exacerbée par un second phénomène. Les agriculteurs adhérents sont en effet très soucieux de savoir dans quelle cellule du silo chacune de leur benne sera affectée. La rémunération de leur travail et de leurs investissements est en jeu. Ils n'hésitent pas, lorsque l'affection leur est défavorable, à donner de la voix. La fiabilité des résultats des analyses n'est en rien la source de l'anxiété des opérateurs. Les équipements ne sont pas en cause. Mais, ils n'offrent pas pour autant une solution au challenge auquel les opérateurs sont confrontés à ce moment-là. À savoir, procéder à une allocation, pour chacune des bennes apportées au silo, la plus optimale et la plus fiable possible. Pour répondre aux attentes non satisfaites des opérateurs, l'entreprise décida, notamment, de doter tous ses futurs équipements d'un module informatique permettant aux utilisateurs de modéliser leur problème de décision, de l'optimiser ces décisions, puis d'automatiser celles-ci à partir des données fournies par les analyses. Les modules des différents équipements, chacun réalisant un ou un petit nombre d'analyses, peuvent être mis en réseau et parlent alors entre eux avant de proposer une décision d'affectation plus fiable.
Cette décision constitue, pour cette entreprise, un changement de positionnement significatif. De fournisseur de résultats fiables d'analyses, elle est devenue, pour ses clients et futurs clients, un fournisseur d'aide à la décision. Des données fiables représentent une condition nécessaire, mais non suffisante, pour prendre, rapidement et en situation de confort psychologique, des décisions optimales et fiables. C'est ce qu'elle propose maintenant aujourd'hui aux clients. Ses nouvelles offres déplacèrent substantiellement, en sa faveur, les lignes du marché, et cela au-delà du segment des analyses réalisées pour allouer les grains récoltés à une cellule de stockage. Pour réaliser avec succès cette transition, elle a du acquérir de nouvelles compétences et élargir le spectre de ses activités au-delà de son métier initial de spécialiste d'électromécanique de précision. En s'intéressant aux aspirations de ses clients, à savoir prendre des décisions d'allocation en toute plénitude, elle a identifié la cause du stress des opérateurs. Elle a ensuite développé une solution innovante permettant de supprimer cette cause.
S'intéresser aux aspirations de ses clients constitue donc un des moyens les plus sûrs d'assurer le succès d'une innovation et ainsi de faire bouger la ligne de front avec les concurrents. Dans mes prochains billets, mon intention est de proposer une démarche permettant aux lecteurs de constituer un Atlas, composé d'une série de cartes permettant de mieux comprendre leur environnement et d'assurer le positionnement de leur offre avec succès.
Vous pouvez vous abonner à mon blog en utilisant un des outils localisés sous la rubrique "archives" dans la bordure de droite. Si vous utilisez l'option email, vous recevrez mes billets vers 17h00 le jour de leur publication.
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Ce billet est le premier billet de la série "Cartographie des espaces stratégiques".
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