mercredi 25 mai 2022

La négation des problèmes : une question d'aversion aux solutions?

Plusieurs expériences réalisées par des psychologues ont montré que notre aversion aux solutions à un problème nous amène souvent à nier l'existence du problème. C'est en particulier le cas pour le dérèglement climatique, mais pas uniquement. La négation d'un problème nous amène ensuite à formuler des critiques et à développer des arguments fallacieux. 


En 2014, Troy H. Campbell et Aaron C. Kay de Duke University, ont exploré ce phénomène et publié un article qui reste aujourd'hui une référence (Solution Aversion: On the Relation Between Ideology and Motivated Disbelief, Journal of Personality and Social Psychology, 2014, Vol. 107, No. 5, 809–824). 


Leur exploration consiste en une série de trois expériences, imbriquées les unes dans les autres. Ces expériences sont réalisées aux États-Unis avec des habitants de ce pays. La première expérience connecte l'affiliation politique des personnes interrogées (Démocrate ou Républicain) avec deux énoncés scientifiques. Ils sont tous les deux issus d'un large consensus scientifique. Le premier énoncé porte sur la croissance projetée de la température moyenne de la planète ; le second stipule que l'origine du dérèglement climatique est d'origine humaine. Deux autres dimensions ont été explorées en relation avec l'affiliation politique des personnes interrogées. Il est nécessaire de préciser que l'affiliation politique est importante dans la mesure où ces parties ont des positions substantiellement différentes s’agissant des politiques économiques étatiques. Les personnes interrogées doivent indiquer si les solutions pour lutter contre le changement climatique auront un impact négatif ou bien positif sur l'économie. La seconde question porte sur le rôle du "free market" sur la puissance d'un pays. Les chercheurs observent une corrélation entre l'appréciation de l'effet des solutions sur l'économie et l'acceptation des deux énoncés scientifiques. L'affiliation politique joue un rôle indirect. 


La seconde expérience manipule la perception des solutions pour les répondants les plus sceptiques vis-à-vis des deux énoncés scientifiques afin d'estimer si la corrélation possède une dimension causale. Comment l'opinion des plus sceptiques évoluerait-elle, si les solutions présentées pour lutter contre le changement climatique étaient cohérentes avec leurs valeurs ? Par exemple, selon les chercheurs, s'ils sont "climato sceptiques", c'est parce qu'ils pensent que les effets sur l'économie des politiques étatiques pour lutter contre le changement climatique seront négatifs. En leur montrant que l'on peut lutter contre le changement climatique par l'intermédiaire d'un mécanisme de type "free market" (c'est-à-dire sans avoir recours à une politique étatique) et que cette méthode aura un effet positif sur l'économie. Pour les deux énoncés scientifiques, la perception de leur validité n'a été que modérément affectée pour les affiliés aux idées des démocrates, mais cette manipulation a significativement affecté celle des républicains, démontrant ainsi qu'une relation causale est probable. Les républicains sont en nombre (et en fréquence) plus sceptiques que les démocrates en ce qui concerne les faits scientifiques énoncés.


La troisième expérience explore de manière plus fine la relation causale en zoomant sur les républicains et séparant ce groupe selon leur degré de conviction politique (faible ou forte idéologie pour le "free market").  Avec cette expérience, les chercheurs ont testé la perception de la validité de l'effet de la pollution sur la santé des personnes. Les résultats sont en cohérence avec l'hypothèse selon laquelle le scepticisme est positivement associé à une aversion pour les solutions. 


Chacun de nous a probablement été en mesure d'apprécier ce phénomène dans une ou plusieurs situations. Cette étude montre que le phénomène n'est pas isolé à un petit nombre de personnes. Il n'est pas surprenant qu'un des moyens les plus puissants pour créer une forme de scepticisme ou de négation de la science (et des faits) soit de montrer que les solutions ne sont pas acceptables pour des raisons d'idéologie politique ou de morale. Par exemple, il est aisé d'accroitre, aux États-Unis, le scepticisme des chrétiens vis-à-vis de l'origine humaine du changement climatique. Il suffit de leur dire que le contrôle de la taille de la population - soit en contrôlant les naissances ou en écourtant la vie - fait partie des solutions envisageables pour lutter contre le changement climatique.


Ce phénomène est connu sous le vocable de "scepticisme motivé" (motivated skepticism) et fait partie d'un phénomène dénommé raisonnement motivé. Tout simplement, nos raisonnements tendent à favoriser les solutions avec lesquelles nous sommes en accord par idéologie, expérience ou intuition. De la même manière nous sommes prêts à nier l'intérêt des solutions qui mettent en danger notre idéologie, challengent nos expériences ou bien s'opposent à notre identité, professionnelle ou individuel, ou à nos plaisirs. Le scepticisme motivé s'attaque quant à lui aux fondations scientifiques des solutions que nous rejetons.


Cette étude nous montre que lorsque des solutions nous sont présentées comme cohérentes avec notre système de valeur, nous avons alors tendance à accepter la solution, mais également les faits scientifiques sous-jacents. Faire des efforts pour lutter contre le changement climatique est souvent considéré par nos concitoyens comme un renoncement à une certaine forme de confort. Mais, renoncer à la lutte contre le changement climatique n'est pas le moyen le plus sûr de maintenir notre niveau de confort demain. Dans les deux cas, l'argument met en avant le maintien d'un haut niveau de confort. Cependant, la direction des actions est inversée. Et dans le second cas, le changement climatique sera plus facilement considéré comme un fait scientifique, parce que ne pas lutter contre le changement climatique affecte négativement notre futur niveau de confort.


Ce phénomène s'applique également aux choix alimentaires. Si une personne apprécie certains produits riches en matières grasses, alors il est probable qu'elle fasse preuve de scepticisme sur le risque de maladies cardiovasculaires qui sont imputées à certaines matières grasses. Cette personne ne souhaite pas être privée de ces produits qui agrémentent sa vie. Mais, cette attitude peut être substantiellement altérée si l’on peut leur démontrer qu'ils auront autant de plaisir à déguster des produits plus maigres. S’il existe une solution qui leur permet de ne pas renoncer aux plaisirs de la table, alors ils seront prêts à accepter ces faits scientifiques. 


      



  

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