Hier, saf agr'idées (la société des agriculteurs de France) organisait une journée d'échanges autour de la question controversée de l'étiquetage nutritionnel des aliments. Doit-on adopter le système des feux tricolores? Plusieurs sociétés savantes médicales, des associations de patients et de consommateurs le souhaitent. Ou bien doit-on rejeter un tel système comme l'Association Nationale des Industries Alimentaires, plusieurs scientifiques et des professionnels de l'alimentation le demandent ? J'ai personnellement plaidé contre ce système, il y a quelques jours, dans un billet publié sur le site Essec knowledge. La fonction faisant l'organe, je mettais en avant le risque important de supprimer un quelconque intérêt chez les consommateurs pour la nutrition, voire pour la santé par l'alimentation, si ce système était finalement adopté. L'éducation alimentaire m'apparaissait comme une voie plus judicieuse et conforme à mes valeurs personnelles d'accompagner chacun de nos concitoyens dans un choix alimentaire libre et éclairé.
J'espérais secrètement pouvoir me laisser séduire au cours de ces débats par les arguments des zélateurs du système des feux tricolores. Mais, sollicités pour venir présenter leurs arguments, ils ont décliné l'invitation. Les orateurs, dont les perspectives sur le sujet étaient particulièrement variées - il y avait la présidente d'une association de parents d'élèves, une maire à l'origine de plusieurs initiatives dans les cantines scolaires de son pays, le directeur d'EPODE, un psychiatre spécialiste des problèmes alimentaires, etc. faisaient cependant tous valoir des arguments en défaveur du système des feux tricolores.
En absence d'argument pour, je me suis donc interrogé quant au chemin intellectuel par ceux qui le soutiennent, mais aussi sur celui de ceux qui s'y opposent. Comment les argumentations, quels que soient leurs mérites, ont elles possiblement été conçues ? Comment à partir d'une même problématique, la santé par l'alimentation, et avec un même niveau de connaissance de l'environnement, deux raisonnements, chacun doté de sa propre logique, peuvent-ils conduire à des positions contraires ? Je vais essayer une réponse.
J'ai autrefois suivi des études médicales et je me suis adonné aux plaisirs de l'épidémiologie. J'apprécie l'approche diagnostique. On peut cependant l'utiliser de deux manières. La première consiste à rechercher la cause des symptômes qui témoignent d'un dysfonctionnement. C'est celle que l'on connaît habituellement dans la sphère médicale. La cause est UNE maladie. Il est en effet particulièrement rare qu'une personne soit victime de plusieurs maladies simultanément. Une cause a donc plusieurs effets, mais tous les effets une seule cause. C'est, semble-t-il, la démarche que les partisans des feux tricolores empruntent. Recherchons la cause de l'insuccès de tentatives quotidiennes de certains français à s'alimenter correctement. L'étiquetage nutritionnel n'est pas facile à décrypter. Les patients l'affirment... Les étiquettes sont d'ailleurs si difficiles à lire qu'uniquement 17% des Européens les lisent. Et moins de la moitié prend en compte leurs informations dans leurs choix alimentaires.
Dans le domaine de la gestion et de l'économie, les praticiens recherchent plutôt les raisons du succès d'une entreprise ou d'une économie. Il existe une différence substantielle entre cette approche et la précédente. Les symptômes d'un dysfonctionnement sont, rappelons-le, dans la très grande majorité des cas, imputables à une cause unique, la maladie. Le succès dépend, quant à lui, de plusieurs de facteurs. On parle de facteurs clefs du succès. Tous sont nécessaires au succès et aucun n'est donc suffisant. L'étiquetage alimentaire est-il un des facteurs clefs du succès d'une bonne alimentation ? Pour répondre à cette question, on peut se demander si un de nos concitoyens peut s'alimenter correctement en absence d'étiquetage alimentaire. Si c'est le cas, l'étiquetage nutritionnel n'est donc pas un facteur clef du succès. Est-ce que l'ensemble des 92% des Européens qui déclarent ne pas utiliser les étiquettes nutritionnelles pour choisir leur alimentation souffre d'une maladie métabolique ? (Sommes-nous tous malades sans le savoir ou bien utilisons-nous les étiquettes sans nous en rendre compte ?) je vous laisse conclure! Si les étiquettes nutritionnelles ne sont pas utiles pour bien se nourrir, à quoi peuvent-elles bien servir ? Madame Pascale Briand (DG AL de 2009 à 2012) nous a rappelé que les étiquettes jouent de multiples rôles. Le consommateur est en droit de savoir quelle est la composition des produits qu'il achète et ses caractéristiques fonctionnelles ( nutritionnelle). Les étiquettes garantissent donc un niveau de qualité, en échange du prix proposé.
Si les étiquettes nutritionnelles ne sont pas l'un des facteurs du succès de la santé par l'alimentation, quels sont ces facteurs alors ? Répondre à cette question n'est aisée. Mais, on peut se reposer sur la démarche EPODE dont les résultats sont excellents. Changer les comportements alimentaires est son objectif, mais l'éducation alimentaire est son principal mode opératoire. Ce qui n'est pas une mince affaire. Apprendre à lire et à compter prend plusieurs années de notre vie. L'alimentation possède des éléments de complexité que l'on ne doit pas nier et son apprentissage requiert donc du temps et une convergence de moyens à l'école comme à la maison.
Peut-on substituer l'étiquetage, c'est-à-dire de l'information, à l'éducation ? Certains le pensent. Il suffirait même de rendre l'information agréable, divertissante, simple pour que la tâche soit accomplie. Malheureusement, éducation et informations ne sont pas des substituts. Elles entretiennent une relation très complexe. Mais on peut dire sans trop se tromper que pour tirer un bénéfice d'une information, il faut souvent être éduqué. C'est dans l'éducation alimentaire qu'il faut investir en premier lieu.
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