Rien de plus facile que de créer une rumeur et, aujourd'hui, de la faire circuler auprès de milliers de personnes avec internet. J'ai reçu il y a quelques jours un message m'expliquant qu'après 15 ans de matraquage et de dégâts une entreprise alimentaire avait été obligée de retirer sa publicité mensongère. Cette information m'a semblé à la fois vraisemblable (le retrait d'une publicité) et, cependant, la formulation du message m'a interpellé. Est-ce que les informations mentionnées étaient véridiques ? S'agit-il d'un canular ? Est-ce une escarmouche dans la guerre de la désinformation dont certaines marques ou industries, comme lors de la guerre du saumon d'élevage européen, peuvent être victimes ?
Ci-dessous, ma tentative pour reconstituer les faits.
Épisode 1 : Didier Raoult, un chercheur réputé membre de l'Unité de Recherche en Maladies Infectieuses et Tropicales Emergentes (CNRS-IRD UMR 6236) de la faculté de Médecine de Marseille, publie dans Nature Reviews Microbiology 7, 616 (September 2009) une note dans laquelle il s'interroge sur un lien possible entre la consommation des probiotiques (que l'on trouve dans produits frais laitiers) et l'obésité (Probiotics and obesity: a link?) Il met en avant des travaux récents sur la flore digestive des personnes obèses. Celle-ci serait moins diversifiée que celle des personnes non obèses. Il apparaît qu'elle serait également plus riche en Firmicutes et moins riche en Bacteroidetes. Il note enfin que les probiotiques sont utilisés en élevage, sous contrôle, pour faciliter la croissance des volailles, des porcs et des veaux. Il précise que des bactéries de la même famille sont également utilisées avec succès chez les enfants atteints de diarrhées, puisqu'ils reprennent plus facilement du poids.
Traduction : Le pavé dans le pot de yaourt qu'a lancé Didier Raoult, chercheur français dans la prestigieuse revue scientifique Nature de septembre 2009 a fini par être payant. Pour le patron du laboratoire de virologie de la Timone à Marseille, les yaourts et autres boissons lactées aux probiotiques que l'on nous fait avaler depuis près de 20 ans auraient une grosse part de responsabilité dans l'épidémie d'obésité qui frappe les enfants. [...] Un porc ainsi gavé de probiotiques, c'est plus de 10% de gagné sur la balance. [...] pousse donc a élevé nos enfants comme des cochons ou des poulets. [...] j'ai rencontré de nombreuses femmes potelées bien que sous-alimentées, et qui cherchaient désespérément à maigrir en se limitant à quelques yaourts par jours plus quelques babioles. Et désespérante désillusion, elles continuaient à grossir, étaient de plus en plus fatiguées et fragiles, surtout en hiver où il est indispensable de se Yanguiser, alors que les yaourts sont hyper YIN. [...]
Il y a de mon point vue une différence entre poser une question et affirmer une chose.
Épisode 2 : L'interdiction officielle (Automne 2011).
Il est ici difficile de recoller les morceaux. « C'est officiel depuis fin septembre 2011, c'est pourquoi il n'y a plus de pub à la télé », annonce le message reçu le 1er décembre 2011. Comme la question des probiotiques est sous la tutelle de la Commission Européenne il doit être suffisant pour retrouver trace de l'interdiction de consulter le site de la commission (EFSSA ou EUR-Lex). Autant dire que la recherche sur EUR-Lex (il s'agit du site du journal officiel de l'Europe) n'a pas été trop fructueuse. J'ai effectivement découvert deux règlements de la commission portant sur les probiotiques, mais ils datent du 14 et du 17 novembre 2011. Les avis scientifiques qui sont associés à ces deux règlements sont antérieurs. À supposer que l'auteur du message fasse référence aux avis scientifiques, on se rapproche de la fin [du mois] de septembre 2011 pour un des règlements. Dans ces deux règlements, la commission prononce le rejet de deux demandes d'allégation santé concernant un probiotique. Voici les conclusions des deux règlements :
1. [...] la Commission et les États membres ont reçu l’avis scientifique de l’Autorité dans lequel cette dernière a conclu que les données fournies n’avaient pas permis d’établir un lien de cause à effet entre la consommation de souches de Lactobacillus casei Shirota et l’effet allégué. Par conséquent, étant donné que l’allégation ne satisfait pas aux exigences du règlement (CE) no 1924/2006, il convient de ne pas l’autoriser.(lien)
2. [...] Dans son avis, reçu par la Commission et les États membres le 8 décembre 2010, l’Autorité a conclu, sur la base des données présentées, que les informations fournies n’étaient pas suffisantes pour établir un lien de cause à effet entre la consommation d’Actimel® et la réduction du risque de diarrhée à C. difficile par la réduction de la présence de toxines de C. difficile. Par conséquent, l’allégation ne satisfaisant pas aux exigences du règlement (CE) no 1924/2006, il convient de ne pas l’autoriser. (Lien)
Dans les deux cas, la commission a considéré que les données fournies n'avaient pas permis d'établir un lien de cause à effet dans les deux demandes concernant des allégations santé très spécifiques (Lutte contre les effets des toxines de Clostridium difficile et préservation des défenses des voies respiratoires supérieures en contribuant au soutien des fonctions immunitaires).
Traduction : [...] Finalement, les semeurs d alerte indépendants ont fini par émouvoir mes services officiels avant que le scandale n éclate au grand jour. [...] C'est ainsi qu'ils viennent de mettre la pression sur le [nom de l'entreprise], l'obligeant, selon les termes élégants des grands journaux « à revoir sa copie » [...]
Quel bel amalgame entre le rejet d'une demande d'allégation et une interdiction!
Quels sont les ingrédients indispensables à l'épanouissement d'une belle (et fausse) rumeur ?
- Une théorie vraisemblable... (Chacun doit être en mesure de se convaincre du bien-fondé de la rumeur)
- Attribuée une personne faisant autorité dans le domaine concerné... (Il faut, d'une part, un point de départ à la rumeur et, d'autre part, il convient de crédibiliser une rumeur naissante.)
- Impliquant une marque de grande notoriété... (On est d'autant plus sensible à une rumeur que l'on est susceptible d'être soi-même concerné ou d'avoir des amis ou parents concernés.)
- Un danger... (L'aversion aux risques associés à des dangers est souvent importante).
D'autres peuvent venir s'ajouter aux principaux ingrédients pour donner plus de force à la rumeur. Une décision de justice, une décision réglementaire ou un article dans la presse peuvent renforcer la crédibilité. Une star du show-business en quête d'un rôle, un homme politique en mal de reconnaissance à proximité des élections, etc. servent souvent, et parfois, en méconnaissance de cause, de caisse de résonance auprès des médias et des internautes. Et pourquoi ne pas inventer quelques victimes ? Mélangez l'ensemble et vous obtenez une belle et vraisemblable rumeur.
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