lundi 7 janvier 2013

Fromages au lait cru ou fromages au lait pasteurisé, lesquels choisir ?


Il s'agit d'une histoire déjà ancienne, mais qui à mon avis est toujours d'actualité. Aujourd'hui, elle s'incarne dans le débat sur les pilules contraceptives de troisième génération. Demain, elle s'incarnera possiblement dans une autre problématique alimentaire ou agricole. Voici l'histoire.

Un matin de janvier 2008, sur les ondes d’une radio nationale bien connue, un journaliste évoque la censure dont l’un de ses reportages de télévision a récemment été victime. Selon lui, sous les pressions des dirigeants d’une grande entreprise fromagère française, son plaidoyer pour les fromages au lait cru a été partiellement occulté. Après nous avoir rappelé que les dirigeants de cette société sont d’ardents partisans des fromages au lait pasteurisé, et cela essentiellement pour des raisons de sécurité alimentaire – c’est-à-dire en raison des moindres risques sanitaires qu’ils sont susceptibles de faire courir aux consommateurs –, il nous présente l’argument clef en faveur des fromages au lait cru, celui qui a été censuré : si l’on considère la contamination par les listérias, deux tiers des fromages contaminés sont des fromages au lait pasteurisé. Uniquement un tiers des fromages contaminés par des listérias sont des fromages au lait cru.

D’après le journaliste, il s’agit là de l’argument-choc que sa rédaction, soumise aux pressions d’un grand groupe laitier, a censuré.

En faisant abstraction du contexte, l’élément clef est :

Il y a deux fois plus de fromages pasteurisés contaminés par les listérias que de fromages au lait cru contaminés par les listérias.

Autrement dit, si un nombre, par exemple 100, de fromages au lait cru contiennent des listérias, alors 200 fromages au lait pasteurisé contiennent des listérias.

Cela nous donne l’impression que l’on court un risque deux fois plus important de consommer un fromage contaminé par des listérias en consommant un fromage au lait pasteurisé que si l’on consomme un fromage au lait cru.

Pour nous forger une opinion peut-on faire abstraction du contexte de l’énoncé : un journaliste dont une partie du reportage a été coupée ? Bien évidemment non ! Cette précieuse information, nous dit-il, a été censurée à la demande d’un grand groupe alimentaire favorable aux fromages au lait pasteurisé. On veut donc nous cacher la vérité ! On cherche à nous influencer ! Mais les ardents défenseurs de l’information sont là pour nous prémunir contre ce complot du silence. A priori, notre opinion est faite ; nul besoin d’aller plus loin. Vive les fromages au lait cru !

Considérons que le danger associé à un fromage contaminé par une listéria est grave et plaçons-nous dans la peau d'un consommateur qui doit faire un choix entre acheter des fromages au lait cru et des fromages au lait pasteurisé. La question pertinente est alors de savoir lequel des deux types de consommation est le plus risqué. Est-il plus risqué de consommer des fromages au lait pasteurisé que de consommer des fromages au lait cru ?

Mais ici nous ne disposons pas de toutes les informations nécessaires pour nous forger une décision. Nous devons faire quatre hypothèses.

  • Première hypothèse : supposons que les fromages analysés par un laboratoire de contrôle soient en proportion de ceux commercialisés. Prenons une valeur hypothétique : un fromage est analysé pour 1000 fromages commercialisés.
  • Seconde hypothèse : supposons que ce taux d’échantillonnage soit équivalent entre les deux types de fromages.
  • Troisième hypothèse : supposons que les fromages commercialisés soient dans une proportion de p. Par exemple, 9/10 des fromages commercialisés sont des fromages au lait pasteurisé.
  • Quatrième hypothèse : supposons que l'on détecte des listérias dans x % fromages au lait pasteurisé, par exemple dans 2 sur 10 000.

Avec une proportion de 9/10.

Si 10.000 fromages sont analysés
· 1000 fromages au lait cru sont donc analysés
· 9000 fromages au lait pasteurisé sont donc analysés
Si sur ces 10.000 fromages analysés
  • 3 contiennent des listérias
    • 2 fromages au lait pasteurisé
    • 1 fromage au lait cru
L’énoncé est vérifié, il y a deux fois plus de fromages contaminés au lait pasteurisé que de fromages contaminés au lait cru.
Mais on observe que 2 fromages au lait pasteurisé sur 9000 sont contaminés et que 1 fromage au lait cru sur 1000 est contaminé.

Autrement dit, on a 4,5 fois plus de chance – ici de malchance -- en consommant un fromage au lait cru de tomber sur un fromage contaminé par les listérias que si l’on consomme un fromage au lait pasteurisé. Comme le taux d'échantillonnage est le même pour les deux types de fromages (hypothèse 2), alors le risque relatif est similaire entre les fromages analysés et les fromages commercialisés.

Le calcul est le suivant.
R(P) = 2 /9000 est le taux de contamination des fromages au lait pasteurisé analysés. R(C) = 1/1000 est le taux équivalent pour les fromages au lait cru.
Donc : R(C) / R(P) = 9/2.

Avec une proportion de 9,99 /10.

Si sur 10.000 fromages analysés
  • 10 sont des fromages au lait cru
  • 9 990 sont des fromages au lait pasteurisé
Si sur ces 10.000 fromages analysés
  • 3 contiennent des listérias
    • 2 fromages au lait pasteurisés
    • 1 fromage au lait cru
Dans ce cas-là, on court un risque de plus de 4000 fois plus important de tomber sur un fromage contaminé si l’on consomme un fromage au lait cru que si l’on consomme un fromage au lait pasteurisé !

Les données présentées par le journaliste n'étaient point erronées. Elles étaient même très certainement justes. Cependant, à l'évidence elles étaient trompeuses puisqu'elles donnaient une impression différentes des risques relatifs réels. Celui-ci, comme nous venons de le montrer, dépend également de la proportion des fromages au lait pasteurisé et des fromages au lait cru. L'information proposée par le journaliste était juste, mais incomplète. Cette proportion était omise. Ainsi, le consommateur n'était pas en mesure de se forger une opinion en toute connaissance de cause.

La censure était-elle fondée ? Je vous laisse juge. Personnellement, je pense qu'il y a mieux à faire. C'est ce que j'ai essayé de faire dans ce billet. Faire la part des choses.

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