jeudi 26 mai 2022

La robotique : une solution au manque de serveurs dans les restaurants?

Depuis de nombreuses années déjà je m'intéresse aux solutions techniques qui pourraient se substituer à une pénurie de main-d'oeuvre ou bien encore réduire la pénibilité et, se faisant, permettre aussi à certaines personnes de réaliser des tâches qu'elles ne pourraient autrement accomplir.

Mais ces solutions techniques remplissent d'autres fonctions. Par exemple, les distributeurs automatiques implantés dans certaines villes japonaises (et en France également) permettre d'étendre les heures d'ouverture pour des clients dont les horaires ne sont pas toujours compatibles avec les horaires d'ouverture des magasins. L'agriculture verticale japonaise permet non seulement de répondre au vieillissement des agriculteurs, mais son implantation à proximité des villes réduit les coûts logistiques, sa verticalité limite son empreinte au sol, elle consomme peu d'eau, etc. 

Aujourd'hui, en France et ailleurs, les restaurateurs font face à une pénurie de main d'oeuvre, souvent dans la cuisine et en salle. Ce ne sont pas les seuls. D'autres activités sont également touchées. Ces pénuries contraignent l'activité des restaurateurs, mais également celles de leurs fournisseurs, et des fournisseurs de leurs fournisseurs. Ainsi, les activités des brasseurs sont également affectées. Moins de serveurs dans les bars affecte négativement la fréquentation de la clientèle, laquelle affecte la consommation de bière, puis l'activité des brasseurs, etc.

Pour pallier à cette pénurie, une approche clinique permettrait d'identifier les causes de cette pénurie et possiblement des solutions pertinentes visant à corriger les effets des causes. Cependant, dans l'impossibilité de corriger les causes, les entrepreneurs doivent envisager des solutions de substitution. 

Il existe plusieurs pistes. Certaines sont déjà utilisées. Les clients représentent une main-d'oeuvre disponible. Ainsi, aujourd'hui dans de nombreux restaurants, le client vient lui-même chercher au comptoir les plats qu'il dégustera en salle. Les buffets sont également un moyen de palier au manque de main d'oeuvre. Dans ces deux cas, et d'autres encore, les clients deviennent des coproducteurs. Les clients débarrassent également les tables. 

Plusieurs systèmes techniques sont aujourd'hui disponibles. Certains restaurants à Sushi sont équipés de tapis roulants. Lors des derniers jeux olympiques, les plats étaient livrés des cuisines aux tables des restaurants par un système de plateaux, de câbles et de rails installés sur les plafonds des salles. Je vous invite à regarder cette vidéo, laquelle donne un aperçu du dispositif.


Cette solution technique est relativement simple. Des solutions plus évoluées mettent en oeuvre des robot-serveurs qui se déplacent de la cuisine à la salle. Pour l'instant il ne réalise que certaines des taches effectuées par un serveur. Lorsque les plats sont prêts en cuisine, ils les apportent aux convives en salle. L'un des fournisseurs de solution robotisée est l'entreprise Keenon Robotics (Shanghaï). Cette vidéo présente l'un de ses produits.


Demain, ces robots seront probablement susceptibles de réaliser la totalité des opérations effectuées par un serveur: réception des convives, accompagnement en salle, présentation du menu, prise de la commande, etc. Mais, toutes ses opérations n'ont pas besoin d'être confiées à un robot: une application sur un smartphone permet d'en réaliser un grand nombre. Celle-ci peut également servir à la réservation ou bien encore informer le client de la disponibilité de tables, etc. L'assemblage technologique idéal reste encore à définir! 
 





mercredi 25 mai 2022

La négation des problèmes : une question d'aversion aux solutions?

Plusieurs expériences réalisées par des psychologues ont montré que notre aversion aux solutions à un problème nous amène souvent à nier l'existence du problème. C'est en particulier le cas pour le dérèglement climatique, mais pas uniquement. La négation d'un problème nous amène ensuite à formuler des critiques et à développer des arguments fallacieux. 


En 2014, Troy H. Campbell et Aaron C. Kay de Duke University, ont exploré ce phénomène et publié un article qui reste aujourd'hui une référence (Solution Aversion: On the Relation Between Ideology and Motivated Disbelief, Journal of Personality and Social Psychology, 2014, Vol. 107, No. 5, 809–824). 


Leur exploration consiste en une série de trois expériences, imbriquées les unes dans les autres. Ces expériences sont réalisées aux États-Unis avec des habitants de ce pays. La première expérience connecte l'affiliation politique des personnes interrogées (Démocrate ou Républicain) avec deux énoncés scientifiques. Ils sont tous les deux issus d'un large consensus scientifique. Le premier énoncé porte sur la croissance projetée de la température moyenne de la planète ; le second stipule que l'origine du dérèglement climatique est d'origine humaine. Deux autres dimensions ont été explorées en relation avec l'affiliation politique des personnes interrogées. Il est nécessaire de préciser que l'affiliation politique est importante dans la mesure où ces parties ont des positions substantiellement différentes s’agissant des politiques économiques étatiques. Les personnes interrogées doivent indiquer si les solutions pour lutter contre le changement climatique auront un impact négatif ou bien positif sur l'économie. La seconde question porte sur le rôle du "free market" sur la puissance d'un pays. Les chercheurs observent une corrélation entre l'appréciation de l'effet des solutions sur l'économie et l'acceptation des deux énoncés scientifiques. L'affiliation politique joue un rôle indirect. 


La seconde expérience manipule la perception des solutions pour les répondants les plus sceptiques vis-à-vis des deux énoncés scientifiques afin d'estimer si la corrélation possède une dimension causale. Comment l'opinion des plus sceptiques évoluerait-elle, si les solutions présentées pour lutter contre le changement climatique étaient cohérentes avec leurs valeurs ? Par exemple, selon les chercheurs, s'ils sont "climato sceptiques", c'est parce qu'ils pensent que les effets sur l'économie des politiques étatiques pour lutter contre le changement climatique seront négatifs. En leur montrant que l'on peut lutter contre le changement climatique par l'intermédiaire d'un mécanisme de type "free market" (c'est-à-dire sans avoir recours à une politique étatique) et que cette méthode aura un effet positif sur l'économie. Pour les deux énoncés scientifiques, la perception de leur validité n'a été que modérément affectée pour les affiliés aux idées des démocrates, mais cette manipulation a significativement affecté celle des républicains, démontrant ainsi qu'une relation causale est probable. Les républicains sont en nombre (et en fréquence) plus sceptiques que les démocrates en ce qui concerne les faits scientifiques énoncés.


La troisième expérience explore de manière plus fine la relation causale en zoomant sur les républicains et séparant ce groupe selon leur degré de conviction politique (faible ou forte idéologie pour le "free market").  Avec cette expérience, les chercheurs ont testé la perception de la validité de l'effet de la pollution sur la santé des personnes. Les résultats sont en cohérence avec l'hypothèse selon laquelle le scepticisme est positivement associé à une aversion pour les solutions. 


Chacun de nous a probablement été en mesure d'apprécier ce phénomène dans une ou plusieurs situations. Cette étude montre que le phénomène n'est pas isolé à un petit nombre de personnes. Il n'est pas surprenant qu'un des moyens les plus puissants pour créer une forme de scepticisme ou de négation de la science (et des faits) soit de montrer que les solutions ne sont pas acceptables pour des raisons d'idéologie politique ou de morale. Par exemple, il est aisé d'accroitre, aux États-Unis, le scepticisme des chrétiens vis-à-vis de l'origine humaine du changement climatique. Il suffit de leur dire que le contrôle de la taille de la population - soit en contrôlant les naissances ou en écourtant la vie - fait partie des solutions envisageables pour lutter contre le changement climatique.


Ce phénomène est connu sous le vocable de "scepticisme motivé" (motivated skepticism) et fait partie d'un phénomène dénommé raisonnement motivé. Tout simplement, nos raisonnements tendent à favoriser les solutions avec lesquelles nous sommes en accord par idéologie, expérience ou intuition. De la même manière nous sommes prêts à nier l'intérêt des solutions qui mettent en danger notre idéologie, challengent nos expériences ou bien s'opposent à notre identité, professionnelle ou individuel, ou à nos plaisirs. Le scepticisme motivé s'attaque quant à lui aux fondations scientifiques des solutions que nous rejetons.


Cette étude nous montre que lorsque des solutions nous sont présentées comme cohérentes avec notre système de valeur, nous avons alors tendance à accepter la solution, mais également les faits scientifiques sous-jacents. Faire des efforts pour lutter contre le changement climatique est souvent considéré par nos concitoyens comme un renoncement à une certaine forme de confort. Mais, renoncer à la lutte contre le changement climatique n'est pas le moyen le plus sûr de maintenir notre niveau de confort demain. Dans les deux cas, l'argument met en avant le maintien d'un haut niveau de confort. Cependant, la direction des actions est inversée. Et dans le second cas, le changement climatique sera plus facilement considéré comme un fait scientifique, parce que ne pas lutter contre le changement climatique affecte négativement notre futur niveau de confort.


Ce phénomène s'applique également aux choix alimentaires. Si une personne apprécie certains produits riches en matières grasses, alors il est probable qu'elle fasse preuve de scepticisme sur le risque de maladies cardiovasculaires qui sont imputées à certaines matières grasses. Cette personne ne souhaite pas être privée de ces produits qui agrémentent sa vie. Mais, cette attitude peut être substantiellement altérée si l’on peut leur démontrer qu'ils auront autant de plaisir à déguster des produits plus maigres. S’il existe une solution qui leur permet de ne pas renoncer aux plaisirs de la table, alors ils seront prêts à accepter ces faits scientifiques. 


      



  

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