L'analyse de la réputation sur la consommation pose un problème méthodologique. Il s'agit en effet de séparer clairement dans les décisions d'achat des consommateurs les effets qui résultent de la réputation et ceux qui résultent de l'appréciation de la qualité de la chose achetée par le consommateur. Pour mesurer l'effet de la réputation, il s'agit de mettre le consommateur dans une situation où il ne dispose pas des informations qui lui permettraient de porter un jugement ou de prendre une décision en connaissance de cause. Il sera alors dépendant de la réputation et uniquement de la réputation. C'est par exemple le cas lorsque l'on décide d'acheter un vin que l'on ne connait pas, c'est-à-dire que l'on n’a jamais eu l'occasion d'apprécier. C'est aussi le cas lorsque l'on nous demande de formuler un jugement sur la valeur monétaire d'un produit alimentaire que l'on déguste (sur ce sujet-là, voir le second billet de cette série).
Aujourd'hui, un grand nombre d'allégations sont invérifiables au moment de l'achat :
« Produit issu de l’agriculture biologique », « Riche en oméga 3 », « Réalisé selon une recette traditionnelle », etc. Ce n'est pas en scrutant mieux le produit ou même lors de sa dégustation que l'on sera en mesure de vérifier ces allégations. On devra donc se reposer sur des indices de réputation dont la qualité du signal peut être plus ou moins bonne.
Desinicu et all. (AAWE working paper 93 2011) ont réalisé un méta-analyse de l'effet des labels AOP et IGP par rapport à des produits similaires non labellisés sur le prix que les consommateurs étaient prêts à payer. Dans tous les cas, les tests avaient été réalisés avec des produits que les consommateurs n'avaient pas directement expérimentés. Autrement dit, le consommateur devait décider d'acheter un produit sur la base des informations disponibles et du prix sans pouvoir le goûter au préalable. Les labels servaient d'indicateur de qualité. C'est leur réputation, c'est-à-dire leur capacité à signaler un produit de qualité, qui est donc mesurée dans ces différents tests. Si le label n'a pas la réputation de signaler un produit de qualité, alors le produit qu'il marque ne bénéficiera pas de ce signal.
Cette étude souligne plusieurs aspects particulièrement intéressants. Les auteurs ont recherché à séparer les effets des labels AOP/AOC et IGP selon leur amplitude de leur effet sur la prime de prix. Ils distinguent des situations où les labels sont particulièrement efficaces. Il s'agit des catégories suivantes : grains (+80 %), fruits et légumes (+58 %) et de la viande (+32 %). Ils notent qu'il s'agit de produits du faible degré d'élaboration, pour lesquels il est souvent difficile de faire une différence qualitative. Il n'existe que très rarement de marque dans ces univers produits et les producteurs (généralement des agriculteurs) sont nombreux. En contraste, les labels sont moins efficaces pour les familles suivantes : Vins et huiles d'olive (+24 %) et les fromages (+40 %). Ils observent par ailleurs de très grandes disparités de primes de prix dans ces catégories. Les produits sont souvent marqués, leur degré d'élaboration est élevé et ils sont souvent très différenciés. Les producteurs sont peu nombreux.
Ces chercheurs observent même dans certains cas des primes de prix négatives. C'est par exemple le cas des vins de la région de Bordeaux où presque tous les vins sont des AOC et où le signal de qualité est alors la marque. Le label AOC n’apparaît alors plus comme un marqueur de qualité. On peut en conclure que la valeur d'un indice est d'autant plus forte que les indices sont peu nombreux et que les produits se ressemblent (visuellement). La diversité du niveau de qualité est un des autres facteurs qui donne du poids à la réputation de qualité que l'AOC transmet aux vins.
Alors que dans le cas précédent on s'intéressait à un produit en particulier, la réputation peut également affecter une catégorie de produits. Ainsi on pourra imputer le refus d'acheter des fruits à la réputation d'être des produits onéreux (pour ce qu'ils apportent !) Mais la réputation structure aussi les attentes des clients vis-à-vis du marché. Ces attentes ne portent pas toujours sur la qualité des produits. Si l'on nous dit que les fruits sont bons pour la santé, mais qu'ils sont chers, alors il convient de faire baisser les prix... et pour cela, il n'y a rien de mieux que de demander au distributeur, de réduire ses marges... car tout le monde le sait, la marge des distributeurs est gigantesque... On pourrait même les accuser de mettre notre santé en jeu en privant les citoyens de l'accès aux fruits à un prix abordable. C'est ainsi, sur la base de croyances, souvent erronées, que les attentes sociales se structurent.
On a également observé des effets d'éviction de designs non dominants (et des concurrents qui avaient adopté ce design) par le design adopté par la marque leader. C'est particulièrement frappant dans le cas des baladeurs numériques où le design du leader de coeur (iPod) sert de point de comparaison pour tous les autres produits. La réputation d'une marque conditionne donc les attentes du consommateur qui recherchent des produits qui « ressemblent » le plus à ceux de la marque leader. Et cela bien que les mêmes consommateurs notent souvent objectivement les performances du produit leader moins bien que celles d'un produit challenger.
Finalement, notons un aspect intéressant. La réputation pour s'affirmer n'a besoin que d'informations vraisemblables. Ainsi, on pourra, même en absence de preuve, jeter le discrédit sur un produit, une marque, une entreprise ou une personne, dès lors qu'une explication vraisemblable, du point de vue de celui qui est juge, est utilisée. Pour restaurer sa bonne réputation, l'entité mise en cause devra apporter une preuve. C'est cette asymétrie qu'il appartient de souligner à nouveau entre la vraisemblance et la preuve. Autrement dit, la réputation est une qualité particulièrement fragile qui peut être mise en danger par une rumeur dès lors que celle-ci possède la saveur de la vérité; alors que restaurer sa réputation nécessitera souvent d'apporter la preuve que la rumeur est infondée.
On retiendra que la bonne réputation permet d'obtenir une prime de prix substantielle, qu’elle est véhiculée par des indices comme les labels de qualité. Ceux-ci sont d'autant plus importants que le risque d'acheter un produit de qualité inférieure à un prix élevé est important et qu'il n'existe pas d'autres indices à la disposition du consommateur tels qu'une marque. Le lecteur extrapolera de lui même les résultats obtenus sur le prix au volume.
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