Il y a quelques jours, j'ai écrit un court billet intitulé "Resilience thinking: une compétence pour les IAA demain." Un lecteur m'a fait part de son désir d'en apprendre plus sur cette méthode de penser. Ce billet est une réponse à cette demande.
La résilience est l'aptitude d'un système à globalement conserver sa structure et ses fonctions lorsqu'il est soumis à un choc. En quelque sorte, un système est résilient s'il est en mesure d'absorber un choc. Cette propriété est contingente du choc que l'on considère, dans sa nature comme dans son amplitude.
En premier lieu, penser la résilience d'un système impose d’accepter quelques hypothèses. Par exemple, que le système auquel on s'intéresse est ouvert et donc susceptible d'être affecté par des événements extérieurs. Certains de ceux-ci pourraient perturber son fonctionnement et sa structure. On peut parler ici de dangers. Un champ, une filière ou tous les autres systèmes dans lesquels nous opérerons sont ouverts.
Penser la résilience c'est s'interroger sur la validité des impacts d'une approche qui cherche à optimiser les performances d'un système, quel que soit le critère de performance que l'on cherche à optimiser. Afin d'optimiser un système productif, le manager fait toujours quelques hypothèses sur des paramètres clés du système. Que les valeurs de ces paramètres s'éloignent des valeurs prises en compte dans la démarche d'optimisation et non seulement la performance du système ne sera plus optimale, mais son fonctionnement pourrait être possiblement mis en danger. La conjonction d'un choix optimal lorsque les paramètres prennent certaines valeurs avec l'éloignement des valeurs réelles des paramètres des valeurs prises en compte pour l'optimisation produit un risque d'effondrement du système. Cette observation est d'un intérêt limité lorsque le manager peut sans cesse adapter ses choix aux conditions de son environnement et s'il possède une information complète et parfaite sur les paramètres de celui-ci. Malheureusement, ces conditions sont rarement réunies. De nombreux choix sont engageants pour l'avenir. L'entreprise ne peut aisément les ajuster à de nouvelles conditions.
Les exemples de tels effondrements sont nombreux. Dans le domaine des pêches, on a assisté dans le passé à de tels effondrements. Ce fut le cas pour les pêcheries de morue (cabillaud) de l'Atlantique Nord. Avec le désir d'optimiser leur rendement économique, les armateurs ont fait des investissements dans des bateaux de plus grandes capacités ; ceux-ci exigeaient pour être rentables des volumes de pêches plus importants. Malheureusement, ces choix optimaux reposaient sur des hypothèses optimistes par rapport à l'évolution de ressources maritimes que des pêches trop abondantes contribuaient au même moment à affaiblir.
Aujourd'hui, l'halieutique a bien progressé et les professionnels sont en mesure d'éviter de telles erreurs, même si les faits montrent qu'elles ne sont pas encore toujours évitées. Aujourd'hui, le dogme est celui du rendement maximum soutenable. Tous les ans, une pêcherie (un territoire maritime) est susceptible de produire en absence de prélèvements une biomasse dont l'importance est en relation avec sa taille. Les poissons se reproduisent, ils grandissent et certains meurent. Supposons que l'accroissement de la biomasse (le poids des poissons) soit en une année donnée de 100 tonnes. C'est cette valeur que les pêcheurs pourraient, sous certaines conditions, prélever de manière soutenable. L'écosystème produit 100 tonnes supplémentaires et ces 100 tonnes supplémentaires sont prélevées par l'homme. La situation finale est similaire à la situation initiale. Le stock n’a pas changé. Le système est en équilibre. Pour le gestionnaire d'une telle ressource, la gestion optimale consistera à identifier les conditions sous lesquelles la production naturelle du système est la plus grande et à n'autoriser que des prélèvements d'un montant équivalent. On parle alors de rendement maximum soutenable. De cela découle le choix optimal d'investissement des pêcheurs dans une flottille.
Malheureusement, cette vision idyllique est erronée. En effet, la capacité naturelle de production d'un écosystème, comme la zone de pêche de l'Atlantique Nord est elle même sujette à des chocs externes. L'acidification des eaux océaniques peut perturber l'équilibre alimentaire des poissons. Des modifications des courants océaniques peuvent avoir un effet similaire et réduire de manière drastique, le temps d'une année, la production naturelle de la pêcherie, par exemple de 50%. Il est fort probable que les pêcheurs ne disposant pas de cette information maintiendront leur quota de pêche soutenable. Ils seront donc en situation de surpêche. Le système peut alors être en grand danger. La conjonction d'une altération de l'environnement et d'une décision de gestion inadaptée aux nouvelles conditions, puisque fondée sur une hypothèse erronée de stabilité de l'environnement, l'impossibilité d'observer les nouvelles conditions et la difficulté à ajuster les capacités de la pêche, détermine une zone de danger. Le système naturel va-t-il supporter le double choc ? Cela est fonction de sa résilience propre, mais aussi de de l'information et des décisions futures des pêcheurs. L'ensemble des deux constitue la résilience du système productif. Ce point est particulièrement important. On ne doit pas concevoir la résilience comme la capacité d'un écosystème à absorber les choix causés par des décisions humaines erronées, mais comme la capacité d'un système de nature sociale, technique et économique à absorber les chocs externes, les décisions humaines sont alors une des composantes intrinsèques de la résilience d’un tel système. L’homme est une composante du système naturel. Il est un des ressorts de la résilience du système.