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lundi 23 novembre 2015

Les différentes identités des consommateurs

Il y a quelques jours, le Dr Frank Chmitelin et les équipes d'Adisseo m'ont offert l'opportunité de m'adresser à plus de 150 spécialistes de l'alimentation animale, venant de plus de 30 pays, et réunis à Paris pour l'édition 2015 d'Adisseo Expertise Tour. Ils m'avaient proposé d'explorer, pour leurs invités, l'attitude des consommateurs à l'égard des démarches environnementales mises en oeuvre par les professionnels des filières animales.

Voici quelques éléments de mon allocution.

Les consommateurs contemporains sont pluriels et particulièrement difficiles à décrypter. Les résultats des enquêtes réalisées auprès des consommateurs sont souvent en contradiction avec l'observation de leurs comportements. Le consommateur dit une chose, mais il en fait souvent une autre. Cependant, le consommateur n'est pas pour autant un menteur. Les approches plus qualitatives montrent que les consommateurs sont  en fait composés de multiples identités, souvent très différentes. Le consommateur est tout à la fois un acheteur, un cuisinier, un employé, un parent, un mangeur, un citoyen, etc. L'identité active ou les identités actives, à un moment donné, dépendent du contexte. Interrogé dans les rayons d'une grande surface, c'est l'identité acheteur qui parlera. Dans le rayon viande, l'identité acheteur se demandera quels légumes servir avec la pièce de viande en main, si le prix n'est pas trop élevé, si les enfants aimeront, etc. Interrogé par un journaliste sur un trottoir, c'est possiblement l'identité citoyen qui prendra le relais. Les identités ne forment pas un ensemble cohérent. C'est pourquoi il n'est pas rare de constater que les comportements ne correspondent pas toujours aux opinions et que parfois les deux sont en contradiction.

Une identité est habituellement activée dans un contexte spécifique. Des recherches récentes montrent qu'il est relativement facile d'activer une identité plutôt qu'une autre. Les chercheurs de l'Université de Lancaster ont ainsi réalisé une expérience très intéressante. Dans un premier temps, ils ont activé chez les sujets participant à leur expérience soit l'identité "Supporter de Manchester United" soit celle "Amateur de Football."  Dans un second temps, ils ont observé le comportement des sujets. Ceux-ci avaient l'opportunité d'apporter leur aide à une personne faisant une chute dans un escalier. Celle-ci portait soit un polo aux couleurs de Manchester United, soit aux couleurs de Liverpool soit un polo neutre. Les deux identités ont réagi de manière différente dans les trois contextes proposés.  

Ces multiples identités coexistent bien la plupart du temps. Disons plutôt que les identités inutiles dans un contexte particulier s'effacent pour faire place à l'identité la plus utile à ce moment - là. Les sciences cognitives expliquent à la perfection ce phénomène. Dans un contexte donné, notre attention est focalisée sur la bonne réalisation d'une tâche. J'aime particulièrement l'expression : pré-occupé. Nos pensées sont accaparées par la tâche que l'on se propose de réaliser. Nous sommes alors particulièrement attentifs à certaines informations, celles qui nous permettront de réaliser notre dessein du moment avec succès.

Ce phénomène n'est pas récent, mais il est à mon avis exacerbé par la diversité des informations qui nous sont transmises, les incertitudes qu'elles révèlent, la multiplicité des contextes dans lesquels l'homme moderne évolue, etc. Notre cerveau est saturé en permanence d'informations, d'injonctions et de conseils. Il n'est malheureusement pas doté d'une capacité suffisante pour prendre en considération l'ensemble des paramètres de l'équation que son propriétaire pourrait prendre lorsqu'il achète une belle côte de boeuf. Certaines des identités sont dans ces contextes-là mises en sommeil, d'autres, quant à elles, sont particulièrement actives. Autrement dit, lorsque l'on achète un beau morceau de boeuf, il est fort improbable que l'acheteur prenne en considération les différentes dimensions environnementales de la production de cette viande, les conditions d'abattages, le travail de l'éleveur, etc. Dans ce micro - moment, l'acheteur pense date limite de consommation, recette de cuisine, prix, faire plaisir aux convives, etc.  

Il y a d’autres moments où une autre identité, par exemple l'identité citoyenne, prend le contrôle des opérations. L'individu se trouve en situation de dissonance, par exemple, lorsque les achats réalisés sous le contrôle de l'identité acheteur ne sont pas en adéquation avec les valeurs de l'identité citoyenne. Les produits de cette dissonance sont habituellement des émotions négatives ou tout du moins un certain inconfort émotionnel. L’identité santé reprochera à l’identité mangeur l’abondance d’un repas. De cette tension peut naitre un inconfort, un sentiment de culpabilité. Les individus cherchent le plus souvent à éviter cet inconfort en reléguant l'une des identités dans l'obscurité ou en mettant en conformité leur comportement ou bien encore en niant l'existence des faits qui font contradiction. 

Une entreprise aurait donc toujours intérêt à apaiser l'inconfort qui résulte de ces dissonances cognitives en proposant des produits qui sont en conformité avec les attentes de nos différentes personnalités. Des produits plus respectueux de l'environnement ou made in local parleront au citoyen en nous tout en satisfaisant le mangeur. Cette condition, bien que nécessaire, me semble cependant insuffisante. Il faudrait encore que nous soyons, alors que notre esprit est, dans les micro-moments, attentif à des indices essentiels à nos choix qu'il le soit également à des informations qui sont essentielles pour les autres identités. 


jeudi 13 février 2014

Pour une économie du goût : Investissons dans le mangeur !

Les bénéfices pour le client de la consommation d'un produit sont toujours le résultat d'une coproduction. Le produit est une source de bénéfices potentiels pour le consommateur. Celui-ci en est le révélateur. Sans sa médiation, les bénéfices contenus dans le produit ne s'expriment pas. Souvent, trop souvent, nous oublions que le consommateur est à la fois le bénéficiaire et le coproducteur des bénéfices dont il jouit. 

Dans le domaine de l'alimentation, l'attention apportée à la nutrition a fait que l'on a, ces dernières années, occulté cet aspect. L'homme a été, au moins partiellement, remplacé par sa physiologie. Il s'agit d'ingestion, de digestion, d'absorption... de bonnes doses ou de justes équilibres nutritionnels. Autant de fonctions du corps, auxquelles l'esprit est étranger. On a pu nous faire croire que l'éducation nutritionnelle allait pouvoir compenser cette faiblesse. Ou bien encore que les plaisirs immédiats allaient, comme pour Johannes personnage du Journal du séducteur de Soren Kierkegaard, assurer notre bonheur.  "Ces plaisirs se succèdent, mais ils ne mènent à rien", écrit Louisa Yousfi. Autrement dit, ils ne construisent pas le mangeur. 

Quelles sont, pour les entreprises de l'alimentation, les implications économiques de cette non-construction toute relative du jeune mangeur contemporain. Prenons quelques instants pour les révéler au travers d’une hypothétique, mais très réelle, fable. Celle des deux buveurs !

La fable des deux buveurs.

Le premier est un néophyte dans l'art de la boisson. Le second est expérimenté. Que les lecteurs ne se méprennent pas à l'évocation du mot expérience. Il ne s'agit point ici d'évoquer une quelconque résistance à l'effet du volume ou du degré. Cette expérience-là, elle appartient au corps, à la physiologie. L'expérience, celle dont il est question ici, c'est la disposition de l'homme à révéler, dans le breuvage, la substance. C'est la maitrise de l'art de la dégustation. 

Introduisons donc maintenant les breuvages. Prenons pour commencer un vin de qualité. Sa complexité, son histoire, sa géographie, le travail des hommes... la lui confèrent. Le second est un bon petit vin, simple et bien agréable. Offrons-les à nos deux buveurs.

Le premier buveur les trouve plaisants. Ils sont à son goût. Des différences, certes il y en a.  Comment les nommer ? Elles lui apparaissent minimes et inqualifiables. Les deux vins offrent un attrait similaire, un charme équivalent, un plaisir pareil...

Notre second buveur se lance à son tour. Il part à la découverte, à l'aventure... et pour lui, les deux voyages ne sont pas de même nature, de même intensité, de même profondeur... Le petit vin est bien plaisant, mais cela s'arrête là. Malgré des tentatives répétées pour en révéler les charmes. Le vin de qualité, quant à lui, est découvert. Sa complexité offre au buveur un jeu divertissant. Il y recherche des touches d'agrumes, des évocations d'acacia ... ses sens et son esprit sont en éveil. Il parcourt, le temps d'un instant, la géographie, l'esprit des vignerons... et se rappelle avec émotion une soirée, un bref moment...

Deux vins, deux buveurs : deux mondes !
http://www.lessecretsduvin.net/

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L'économie du goût, c'est cela ! C'est cette capacité que l'expérience a donnée à l'un des buveurs de voyager dans le vin, mais pas encore à l'autre. Celui-là même se demandera s'il est raisonnable de payer aussi cher une bouteille de vin, alors que l'on tire un plaisir équivalent d'un vin bien moins onéreux. Pourquoi payer plus cher ? L'économie du goût, c'est aussi cela ! Si le vin a de la valeur, c'est aussi parce que le buveur est en mesure de la révéler... Investir dans le produit, ce n'est qu'investir dans une partie de l'équation de la valeur. Apprenons donc aussi, collectivement, à investir dans le capital humain, dans le mangeur et dans le buveur.    
        

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Vous trouverez ici un lien vers un cahier de Perspectives en Agroalimentaires sur l'importance des mots: une nécessité, souvent oubliée, pour enchanter  l'univers alimentaire des mangeurs.

A déguster sans modération !

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