En écho à Jean-Pierre Coffe, je conclurais ce billet
La réputation : 8 Leviers pour améliorer la compétitivité - L'effet "Proust"
Innovations technologiques, nouvelles tendances, etc. de la fourche à la fourchette ...des idées à cultiver!
Olivier Fourcadet
Professeur à l'ESSEC Business School
Ce quatrième billet sur la réputation est la suite de trois précédents publiés il y a quelques jours sur ce blog (billet 1, billet 2, billet 3).
Dans les précédents billets, je postulais que la réputation servait dans un contexte de décision de succédané à une information de meilleure qualité qui n'est malheureusement pas disponible au moment où le décideur en a besoin ou bien qui est trop chère à acquérir. Plutôt que prendre une décision en état d'ignorance, le décideur va utiliser les indices que la réputation lui apporte. Nous avions également observé que la réputation est un actif que l'on partage avec d'autres, que l'un peut emprunter, transmettre, etc. La réputation peut également conduire à des erreurs. Et douter de la réputation d'une chose peut parfois s'avérer une source de succès.
Aujourd'hui, je souhaite concentrer mes explications sur la cible de la réputation. Si la réputation possède une quelconque utilité pour celui qui va s'en servir et un bénéfice pour celui qui la possède, il convient alors de savoir qui va s'en servir, comment et dans quel but. C’est alors en connaissance de cause que celui à qui elle est attachée pourra la moduler à son avantage. Comme dans le cas du précédent billet je vais me reposer sur quelques exemples pour illustrer ma thèse.
Exemple 1. Une jeune pousse a conçu des logiciels pour des professionnels de la santé. De l'avis de très nombreux clients potentiels, que les gérants de cette entreprise ont rencontrés, ce logiciel est « de loin le meilleur produit du marché » et il est également « très abordable par rapport aux produits concurrents. » Cependant, cette entreprise n'arrive pas à vendre une seule unité de ce merveilleux produit. Pourquoi donc ? Pour répondre à cette question, il convient de se demander qu'elles sont les questions auxquelles un client pourrait en ce qui concerne l'achat d'un logiciel à usage professionnel se poser ! Est-ce que l'entreprise répond bien à toutes ces questions dont, par ailleurs, certaines ne sont jamais posées ouvertement ? Les clients sont en permanence à la recherche d'indices qui viendraient satisfaire leur besoin d'information. La réputation si elle apporte une réponse satisfaisante à une question que le client se pose jouera pleinement son rôle. Si la réputation est bonne, mais qu'elle n'apporte pas une réponse à la question que le client se pose, alors elle est superflue ! Avoir engagé des dépenses pour créer une réputation inutile constitue une perte en argent, comme en temps. Ces dépenses soulignent le manque de professionnalisme des dirigeants de l'entreprise.
Le principe implicitement exposé ci-dessus connu sous le vocable du principe de l'auditoire cible. À savoir, répondre aux questions que les cibles les plus importantes pour l'entreprise se posent. Il convient également de parler un langage que ces cibles sont en mesure de bien comprendre.
Exemple 2. Lorsque la maison de couture Versace accepte de proposer une collection pour les magasins H&M prend-elle un risque de ternir sa réputation auprès de ses habituels clients ? Quelles questions les clients de la marque se posent-ils vis-à-vis de la marque lorsqu'ils prennent connaissance de cette initiative ? Ils connaissent bien la qualité des produits des collections traditionnelles de la marque qu'ils apprécient au travers de leur expérience de consommation. La réputation n’est pas, en ce qui les concerne, utile puisqu’ils connaissent d’expérience la marque. Versace pour H&M propose des produits de qualité moindre de celle des produits qu'ils achètent et ne sont pas directement concernés par ces produits-là. Des études ont montré que les consommateurs habituels des marques de luxe ne sont pas affectés par de telles initiatives.
Cependant, ce type d'initiatives affectera certains prospects de la marque. En effet, les prétendants à l'acquisition des produits griffés, qui cherchent par l'acquisition d'une marque de luxe à montrer leur réussite sociale, seront contrariés par cette initiative. En effet, les néophytes auprès desquels ils souhaitent briller pourraient penser qu'il s'agit d'un produit de la gamme Versace pour H&M. Finalement, cette initiative sera plébiscitée par des consommateurs qui n'ont pas les moyens et qui trouveront dans la collection Versace pour H&M le moyen d'accéder à un design typique de la marque à un cout très abordable. Seule une des trois cibles, à savoir les personnes qui achètent les produits de la marque comme emblème de leur prétendue condition sociale supérieure sera affectée. La marque devra si elle le souhaite répondre à leur questionnement. Les autres cibles, à savoir les clients habituels de la marque et les personnes qui n'ont pas les moyens pour accéder aux produits de haute couture ou au prêt-à-porter de luxe, ne sont pas sensibles à l'idée de risque de dégradation de l’image de qualité des produits de luxe de la marque. Les premiers parce qu'ils disposent une appréciation directe de la qualité des produits qui découle de leur usage. Les seconds parce qu'ils ne sont pas concernés par les produits de luxe.
De cette histoire nous tirons la conclusion que toutes les cibles d'une marque ne sont pas concernées de la même manière par une initiative de la marque de proposer une extension de gamme. Il conviendra d'apporter une réponse uniquement aux cibles qui se posent des questions. Mais dans le cas qui vient d'être présenté, la maison de couture pourrait tirer un bénéfice de cette initiative en se séparant des clients qui n'achètent pas ses produits pour de bonnes raisons. Car les clients font aussi la réputation d’une marque !
Ce second billet fait suite à un premier billet publié il y a quelques jours sur le même sujet.
J'aime souvent faire référence à une expérience réalisée par Brian Wansink, professeur de marketing à l'Université de Cornell aux USA, pour exposer le rôle de la réputation, le contexte dans lequel elle est particulièrement utile et ses supports. L'expérience consiste à mesurer l'effet sur la satisfaction des convives d'un restaurant lorsqu'on leur offre un verre de vin en attendant de les accompagner à leur table. Avec cette expérience, le restaurateur se pose la question de savoir s'il doit proposer quel vin proposer et comment le présenter. Dans cette expérience, une seule chose va changer : la présentation du vin. Le reste, à savoir le vin, le verre, la température de service, le menu, etc., sera équivalent entre tous les convives.
À 50 % d'entre eux, le serveur présentera le vin comme venant d'un domaine Californien... et à 50 % d'entre eux, le serveur présentera le vin comme un vin du North Dakota. La première région est réputée pour ses vins, alors que la seconde région n'est pas réputée pour ses vins (à ma connaissance on ne produit pas de vin dans cet état). L'effet des variations incontrôlées sur d'autres aspects du repas qui pourrait affecter la satisfaction du consommateur sera atténué par la répétition de l'expérience et leur prise en considération lors du traitement statistique. Les variables utilisées pour appréhender la satisfaction des convives sont, par exemple la durée de la présence dans l'établissement — car on reste dans un restaurant si on y passe un bon moment -- le nombre des assiettes terminées, etc. Lorsque le vin est présenté comme un vin de Californie, les indicateurs de la satisfaction atteignent des valeurs supérieures à celles obtenues lorsque l'on indique que le vin vient du North Dakota.
Voici l'analyse que je vous propose de cette expérience. Brian Wansink utilise lui cette expérience pour souligner les effets de levier que certains aspects a priori anodins peuvent exercer sur la consommation alimentaire et la satisfaction. Il convient de se rappeler que le vin est un cadeau offert par le restaurateur à ses convives pour les faire patienter en attendant de les accompagner à leur table. Dans ce contexte, le convive peut se demander quelle valeur le restaurateur attribue à son commerce. On traite les convives de marque avec respect... et on leur offre un vin de qualité plutôt qu'un petit vin... Or lorsque l'on n'est pas en mesure d'apprécier directement la qualité d'un vin par l'expérience, c'est-à-dire en le goûtant, alors on doit se reposer pour en apprécier la valeur sur des indices. Dans ce contexte d'évaluation, le premier indice dont on peut se saisir est la région d'origine du vin. Est-elle réputée pour ses vins ? Si elle ne l'est pas, les chances pour que le vin soit de grande valeur sont réduites. Elles sont plus importantes lorsque le vin vient d'une région réputée pour la qualité de ses produits. Autant dire les vins de Californie ont une excellente réputation, ce qui n'est pas le cas pour le North Dakota qui est connu comme l'état des « high plains » et pour ses productions de grains et d'oléagineux. Pour répondre à la question « Suis-je considéré comme un hôte de marque ? », la réputation de la région d'origine offre un bon indice... et lorsqu'il n'y a qu'un seul indice disponible, alors son importance est encore plus grande.
Avant de conclure ce second carnet de la série « La réputation : huit leviers pour améliorer la compétitivité », je souhaiterais rappeler que la réputation est une représentation mentale et préciser que celles-ci sont composées d'associations stockées dans nos mémoires. Les représentations mentales peuvent être autobiographiques ou empruntées ; elles peuvent être conscientes ou inconscientes.
Elles sont autobiographiques lorsque l'on fait référence aux expériences de son passé. Elles sont empruntées lorsque l'on se repose sur des ouï-dire. Ainsi nous avions constaté que l'idée selon laquelle les fruits sont chers est une idée souvent empruntée. Pour s'en assurer, il suffit de demander le prix d'un kilogramme de pommes, de poires ou encore de fraises à une personne qui vous soutient que les fruits sont chers. Nous avons observé que dans plus de 50 % des cas, la personne n'avait aucune idée du prix des fruits les plus fréquents sur un étal (lire le Cahier n°12 : "trop cher! " - Mais est-ce bien une question de prix ? Ce cahier et les autres cahiers de la Chaire sont disponibles gratuitement auprès de Christine Cantrel - cantrel@essec.fr) L'idée est donc parfois empruntée. Il s'agit d'une vérité sociale qui est souvent véhiculée dans la presse, et à laquelle on ne peut s'opposer sans entacher sa propre réputation. J'oppose ici une réalité sociale à une réalité subjective, l'appréciation personnelle (et donc par nature subjective) d'une chose observée. Car il y a une différence de nature entre l'appréciation de celui ou celle qui juge que les fruits sont (ou ne sont pas) chers en connaissance de cause et celui ou celle qui véhicule une idée qui lui a été transmise par les médias ou le bouche-à-oreille. C'est ici que l'on peut parler de réputation. Mais la question n'est pas aussi facile à trancher... Il est possible qu'une vérité sociale transforme l'appréciation subjective réalisée en connaissance de cause. Pour illustrer mes propos : Robert Parker. Ce fameux critique américain de vins aurait, parait-il, fait adopter ses propres goûts à des milliers de passionnés qui lisaient dans la presse ses critiques ou achetaient ses guides. Un vin noté 95/100 par Robert Parker devenait, ipso facto, la référence pour de nombreux dégustateurs amateurs. Et de fait un très bon vin.
En attendant la publication du prochain billet de cette série, voici une petite question de vocabulaire. On parle parfois de « remède de bonne femme. » Mais quel est donc le rôle des femmes dans cette histoire?
Olivier Fourcadet
A ces deux aspects, on peut ajouter une relative incertitude sur les critères à prendre en compte pour former une décision…
C’est dans de tels contextes que la réputation va pleinement s’épanouir !
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Ce premier billet trouve ici sa conclusion. J'espère vous retrouver très bientôt pour un second billet sur le thème de la réputation.
Je vous propose de répondre au questionnaire d’une étude sur le thème du non-achat. On s’intéresse souvent aux raisons pour lesquelles on achète un produit et rarement aux raisons pour lesquelles on n’achète pas un produit. Répondre au questionnaire ne prend que quelques minutes. Par avance un grand merci pour votre aide.
Questionnaire : les raisons de ne pas acheter un produit alimentaire