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vendredi 20 janvier 2012

Mythologies peri-alimentaires (7)

Les mythes dans les publicités alimentaires: avantages et inconvénients.

Le mythe est avant tout un récit, c’est une forme particulière d’exposition des arguments de la proposition de valeur, de la promesse produit. Depuis quelques mois cette forme d’expression est redevenue au goût du jour sous le terme anglo-saxon de storytelling. Un récit, s’il est bien construit, sera supérieur en performance à la simple apposition des mêmes arguments. Cette performance peut être appréciée sur des dimensions cognitives, affectives, ou conatives. Par exemple, une équipe d’étudiants de l’ESSEC a testé, lors d’une unique exposition, l’effet « storytelling » sur le degré de mémorisation d’un ensemble d’attributs associés à un produit laitier frais par rapport à une simple énonciation de ces mêmes attributs. La restitution a été meilleure pour le groupe « storytelling » que pour le groupe témoin. Bien que les résultats de cette expérience soient intéressants, ils ne permettent pas de comprendre par l’intermédiaire de quels mécanismes cognitifs[1] la restitution a été améliorée, ni même d’identifier des figures de style particulièrement performantes.

Un récit est une structure. On sait que la mémorisation et, parfois aussi, la compréhension sont habituellement améliorées par une exposition structurée des arguments. Une expérience bien connue en psychologie cognitive consiste à présenter une même liste d’items (des minéraux et des roches) soit sous la forme d’une liste, soit sous la forme d’une structure arborescente. Le règne minéral peut être divisé en minéraux et roches ; les minéraux peuvent être à leur tour divisés entre les minéraux précieux et ceux qui ne le sont pas ; les minéraux précieux peuvent être divisés entre les métaux précieux (or, argent) et les pierres précieuses (diamant, émeraudes, rubis, etc.) ; ainsi de suite. On se rappelle plus d’items si leur exposition était structurée.

Un mythe publicitaire est habituellement plus qu’une histoire : c’est une histoire qui s’inscrit dans notre l’histoire culturelle. De ce fait, le mythe publicitaire s’ancre, s’accroche, dans un réseau sémantique ou propositionnel déjà présent dans notre esprit et composé des mythologies, symboles ou rites anciens. Autrement dit, on se contente de compléter le contenu des réseaux déjà implantés dans notre mémoire des éléments récents, comme la marque. Elle bénéficiera donc naturellement et à moindre frais des attributs, positifs ou négatifs, déjà présents en mémoire et associés aux réseaux existants dans lesquels la publicité va la placer. Il semble alors essentiel de bien comprendre quels sont les réseaux existants, leur structure et leur valence ; lesquels de ces réseaux seront activés par la publicité et où se placera dans ses réseaux le produit, la marque et les attributs que l’on souhaite y attacher.

Alors que les bénéfices des mythes publicitaires sont potentiellement très importants, on ne saurait sous estimer l’éventuel inconvénient d’un récit publicitaire trop influent. A savoir : seul le récit retiendrait alors l’attention du téléspectateur, lequel le mémorisait au détriment de la marque que la publicité était censée exposer. Lorsque l’on invoque de puissantes forces mythologiques, il convient de faire preuve de subtilité dans leur incorporation aux publicités. Le second inconvénient est de rattacher à la marque des attributs négatifs ou indésirables qui seraient empruntés à des mythes auxquels on pourrait s’associer par advertance.

Le dernier inconvénient repose sur la dissonance éventuelle que la publicité pour une marque est susceptible de produire entre l’image qu’elle propose et l’image historique qu’elle suggère. Cette dissonance, si elle n’est pas résolue, peut engendrer des comportements contre productif pour la marque. L’inconfort produit par une dissonance est parfois atténué par la fuite ou un enfouissement comparable à l’oubli.

En guise de conclusion

La publicité pour les produits alimentaires fait donc très souvent appel à une exposition sous la forme d’un récit lequel peut emprunter à une mythologie ancienne. Celle-ci peut être directement attachée au produit, mais elle peut être également attachée aux différents cadres qui sont utilisés lors de l’exposition du produit, telle que le type de figure, homme ou femme, dominant ; la localisation : dans la nature ou dans un intérieur. Chacun de ces cadres interagit subtilement avec les autres cadres et avec la marque. Les effets de ses interactions peuvent être aussi bien négatifs que positifs.

Le mythe en tant que structure récitative a potentiellement des effets positifs sur certaines dimensions cognitives désirables. Cependant, des effets négatifs peuvent apparaître si les mythes empruntés ne sont pas choisit avec une grande attention et mixé avec subtilité aux attributs de la marque que l’on veut mettre en valeur.



[1] La restitution met en œuvre une procédure de rappel des choses mémorisées ; la mémorisation (stockage) nécessite l’attention et / ou la perception. Elle peut se faire selon plusieurs « processus » dont la répétition.

mercredi 18 janvier 2012

Mythologies peri-alimentaires (6)

Le Camembert un fromage intégrateur?

Ce carnet est la suite de Mythologie peri-alimentaire (1-4) et (5)

Lorsque l’on plonge dans l’univers publicitaire du camembert, on peut noter des grandes similitudes.

1. À quelques exceptions près, les publicités pour le camembert mettent en scène un groupe composé exclusivement d’hommes, des amis intimes, qui procèdent implicitement à l’intégration d’un nouveau membre.

2. L’adoubement se fait à l’issue d’un rite au cours duquel un ou plusieurs membres du clan initient l’aspirant à l’art délicat de la « dégustation » du camembert. Celui-ci, objet médiateur, permet d’accéder par sa subtile absorption à un état de conscience supérieur. Il permet à l’homme initié de communier avec les forces tutélaires ou régénératrices de la nature.

3. L’intégration clanique est achevée. Le candidat, enfin initié, peut rejoindre ses compagnons, ou doit-on dire, ses nouveaux frères dans la confrérie des amateurs éclairés de camembert.

Une première alternative procède à l’intégration d’un nouveau membre, également masculin, dans sa future belle famille. Dans cette version, le père de famille, seul ou trônant au centre de sa famille, procède à l’évaluation du prétendant au travers d’une épreuve dans laquelle le camembert joue un rôle. Le candidat est-il digne d’intégrer la famille ? Cela sera le cas, s’il passe avec succès les épreuves auxquelles le père, juge et intégrateur le soumet. Au grand soulagement de sa future épouse, il passe cette première épreuve avec succès et conserve toutes ses chances pour la suite du processus d’intégration dans sa nouvelle famille.

Une seconde alternative procède à l’incorporation d’un couple d’amis étrangers dans la citoyenneté par l’initiation au bon goût Français. Le camembert est l’élément intégrateur. En consommer, c’est renouveler implicitement ses vœux ou témoigner de sa bonne intégration dans la bonne société.

Le camembert a un rôle critique, mais sensiblement différent, dans ces 3 rituels. Dans tous les cas, il participe aux processus de transformation. Le résultat du processus est favorable aux prétendants. Dans le premier et le troisième scénario, la transformation est duale : il y a initiation et intégration. L’initiation permet l’intégration de l’initié dans le groupe. L’image du groupe intégrateur est alors particulièrement importante pour procéder à l’intégration par procuration du téléspectateur. S’il s’identifie imparfaitement aux membres de la confrérie qui procèdent à l’intégration du prétendant, alors il est susceptible de ne pas consommer le produit dont l’incorporation ferait de lui implicitement un membre. Dans le premier cas, il peut cependant espérer accéder par l’incorporation corporelle du camembert à cet état supérieur de conscience, incorporer les forces de la nature.

Dans le second scénario, le prétendant doit prouver sa qualité lors de l’épreuve du questionnement. Cette épreuve évoque celle de l’énigme à laquelle le sphinx soumit Œdipe. L’affrontement n’est point physique contrairement à un grand nombre d’épreuves de la mythologie antique. Le succès de prétendant témoigne de sa qualité d’initié, de sa sagacité, de son intelligence et dans le cas du camembert de son bon goût, de son savoir vivre.

Le rite de l’intégration, s’il s’achève avec succès dans les deux cas, ne fait pas appel aux mêmes capacités de l’impétrant. La finalité est globalement la même, l’intégration ; mais le mode d’intégration est très différent. Dans le premier scénario, les dimensions hédoniques et conviviales dominent, alors que dans le second scénario les dimensions cognitives sont essentiellement mises en scène. Le premier camembert s’adresse à ceux qui cherchent l’éveil des sens, mais un éveil partagé au sein d’une fraternité. Les figures féminines sont exclues. Dans le second scénario, il y a certes intégration, mais aussi éventuellement une officialisation de la conquête de sujet tant désirée. Alors que Paris vaut bien une messe, officialiser une conquête vaut bien un diplôme es camembert. « Jeunes gens à vos études ! » suggère la publicité.

Les rites de passages ont été particulièrement étudiés au début du siècle dernier par Arnold van Gennep (Les rites de passage, 1909). Alors que ses prédécesseurs avaient concentré leurs efforts sur la forme et la signification d’une des composantes du rite, il s’intéressa à leur structure, leur enchaînement. Il constate que la structure des rites de passage est (presque toujours) ternaire. Dans la première phase (premier rite), le postulant est séparé de manière symbolique du groupe qu’il va rejoindre ; il est marginalisé. La seconde phase est celle de l’apprentissage (second rituel). Dans la troisième, le prétendant est intégré dans le groupe (troisième rite).

Certaines publicités pour les camemberts sont structurées en trois temps. Les acteurs vont en premier lieu rejoindre, en groupe, le site sur lequel les rites de passage vont advenir. Les rites de passages sont régulièrement situés au cœur d’une nature verdoyante et généreuse. Le frère initiateur, procède à la marginalisation du postulant en l’attirant à l’écart du groupe. C’est alors que le novice est initié. Puis, l’initiateur et le nouvel initié retrouvent à nouveau le groupe.


jeudi 12 janvier 2012

Mythologies peri-alimentaires (5)

De très nombreux auteurs ont précédé ou suivi Roland Barthes dans cette mission d’identification des signes et d’interrogation du sens tant sur les mythes alimentaires, que gastronomiques ou culinaires ; l’univers alimentaire est, de fait, particulièrement riche en signes, symboles et récits mythiques, antiques ou modernes.

Certains de ces mythes sont très vivaces et ils constituent parfois de nos jours de véritables freins, pour certains, et leviers, pour d’autres, à une bonne alimentation sans peur et sans reproche. Avec Sophie Ricci, j’avais exploré l’idée selon laquelle, en France, les fruits sont chers (voir Olivier Fourcadet et Sophie Ricci, « Trop cher ! » - mais est-ce bien uniquement une question de prix ?, Perspectives agro-alimentaires n°12, mars 2009.). Nous avions découvert que cette idée, qui est très partagée, n’a pas de fondement solide. Autrement dit, tout le monde sait que les fruits sont chers, mais personne ne sait vraiment pourquoi ! Chacun a sa petite idée, son anecdote succulente pour en confirmer la véracité. Il s’agit d’un mythe moderne qui n’est pas dépourvu d’utilité pour ceux qui ne mangent pas ou peu de fruits ; il leur procure un bon alibi ; c’est souvent la première raison que l’on invoque pour échapper au regard présumé suspicieux de celui qui s’interroge sur cette incivilité manifeste.

Pour Christian Boudan (Christian Boudan, Géopolitique du goût : La guerre culinaire, PUF, 2004.), les grands mythes alimentaires sont, en occident au moins, en concurrence : « celui de la gastronomie, qui monopolise l’énoncé des plaisirs et de leur histoire, et celui de la nutrition, qui expose l’état du savoir scientifique sur les relations entre l’alimentation et la santé ». Ce dernier s’inscrit dans une longue tradition du processus de conversion, éventuellement positive, que Roland Barthes associe au rite de l’incorporation du bifteck et aux libations vinicoles. Le mythe de la nutrition en serait une version « scientifisée » par l’invocation des pouvoirs démonstratifs de la science. Cette version moderne fait, en France, face à deux problèmes.

Le premier est consubstantiel de l’énoncé scientifique : la polarité de la conversion est affaire de dose. Trop peu et la conversion est insuffisante, trop et la conversion est dangereuse. Le second problème est que le Français est souvent culturellement suspicieux dès lors qu’il s’agit de science, et plus particulièrement de la science officielle. Il a souvent une attitude ambiguë vis-à-vis de la science ; Il peut en vanter les avancées positives passées, mais il est souvent techno-sceptique, voire technophobe en ce qui concerne le futur. Peut-être est-ce en raison d’une culture scientifique insuffisante comme l’indique Hélène Langevin-Joliot, Présidente de l’Union rationaliste et Directeur de rechercher émérite au CNRS : « La science est malheureusement aujourd’hui, pour l’essentiel, un domaine extérieur à la culture y compris celle des « élites » intellectuelles et politiques. »(Culture scientifique, culture et démocratie, Hélène Langevin-Joliot (http://www.union-rationaliste.org).

mercredi 11 janvier 2012

Mythologies peri-alimentaires (1 à 4)

Nous allons les prochains jours poursuivre notre exposé sur les mythologies périalimentaires qui avait débuté au mois d'octobre 2011. Vous trouverez ci-dessous une copie des 4 premiers carnets.

C’est en 1957 que Roland Barthes publie Mythologies, un ensemble de textes écrits entre 1954 et 1956. Comme l’auteur le dit dans sa préface de 1970, il poursuit à l’époque deux objectifs :

« … d’une part une critique idéologique portant sur le langage de la culture de masse ; d’autre part un premier démontage sémiologique de ce langage : je venais de lire Saussure et j’en retirai la conviction qu’en traitant des « représentations collectives » comme des systèmes de signes on pouvait espérer sortir de la dénonciation pieuse et rendre compte en détail de la mystification qui transforme la culture petite-bourgeoise en nature universelle. »

Notre projet est ici moins ambitieux que celui de Roland Barthes. Il ne s’agit pas de dénoncer mais de bien comprendre quels pourraient être les bénéfices, mais aussi les risques de la mise en récit de la marque. Nous focaliserons notre attention sur les marques alimentaires. Nous tenterons de décortiquer leurs publicités, lorsqu’elles s’expriment sous une forme de récit. Attacher un récit à la marque (brand story) semble devenir, au moins aux USA, la continuation naturelle de la démarche de construction d’une image (brand image). La marque devient alors récit (mythe) en s’intégrant dans un récit, celui que les publicités nous racontent. Comme c’est le cas dans quelques publicités actuelles, plus particulièrement dans le secteur automobile, la marque fait aujourd’hui de plus en plus souvent des références explicites à son histoire personnelle, ses heures de gloire, sa naissance, etc. Parfois, l’entreprise remet même au goût du jour les produits qui ont fait autrefois sa célébrité (par exemple, Fiat 500)
Depuis l’antiquité déjà, la valeur des récits (mythologies) n’est plus à justifier : les récits structurent notre vie et celle des peuples. Certains ont vu dans l’effondrement du mur de Berlin la fin de l’histoire, celle au moins des deux grands récits qui ont structurés le 20e siècle : le communisme et le capitalisme. Des philosophes ont même interprété le phénomène Otaku comme autant de tentatives individuelles et collectives de recréer les récits qui nous font aujourd’hui défaut.

Les deux déterminations exprimées par Roland Barthes dans la citation ci-dessus, nous permettent de mieux comprendre l’utilisation qu’il fait du terme Mythologies pour rendre compte des fausses évidences qu’il cherche à débusquer dans les récits de cette époque. Pour lui, le mythe tout entier est un message. Et tout, ou presque tout, peut alors devenir Mythe. Comme tout message, il peut être décortiqué et analysé à l’aide de la sémiologie. Cependant le mythe n’est pas un message simple, un message primaire. C’est plutôt une combinaison, un assemblage de messages primaires, lesquels s’ils sont bien interprétés dans un récit peuvent voir leurs effets se décupler.

Après une courte définition du Mythe et des mécanismes impacts, nous présenterons dans un premier temps de manière sommaire quelques uns des « décryptages » que Roland Barthes produisit à l’époque sur le vin, le lait, le bifteck et les frites, puis nous tenterons dans un second temps de réaliser ce dur exercice à partir de quelques publicités alimentaires et non alimentaires contemporaines. Cependant, nous focaliserons notre regard sur le récit mais pas sur le produit. C’est pour cette raison que ce carnet s’intitule Mythologies péri-alimentaires, en ce sens que les composantes étudiées pourraient très probablement s’appliquer à un grand nombre de marques ou de produit si tel était le souhait des entreprises.

Un mythe est simplement une histoire, un récit dont l’objectif est, nous disent les spécialistes, de nous rendre intelligible le monde. Mais le Mythe n’explique pas, tout du moins il n’explique pas directement. Il expose de manière subtile, il suggère. Son influence sur nos comportements peut être redoutable.

Quel est le mode opératoire du mythe ? Lors d’une rencontre, il y a plusieurs mois déjà, Marie Marquis, Professeure à la Faculté de Médecine –Nutrition de l’Université de Montréal, nous avait fait part de son questionnement sur l’effet des publicités alimentaires sur le comportement alimentaire des jeunes mères canadiennes. En cette occasion, elle évoqua alors plus particulièrement l’évolution de la représentation de l’enfant dans les publicités alimentaires au Canada.

De gentleman gastronome en culotte courte, celui-ci était devenu progressivement un méchant « petit monstre » avide de nourritures.

On peut se poser la question de savoir quels pourraient être les effets potentiels de cette représentation des enfants dans la publicité sur de jeunes mères, même si cette représentation reste largement inconsciente.

Cette représentation appelle la figure maléfique de l’ogre. L’enfant est-il devenu un petit ogre moderne que l’on doit abondamment et surtout rapidement sustenter ? Par cet acte libérateur, la mère préserve alors sa tranquillité. Cependant, si la figure de l’ogre surgit, alors la jeune maman pourrait être impactée, même inconsciemment, par la symbolique de l’ogre, un personnage fréquent de la mythologie ou les contes pour enfant (peut-être pas toujours pour les enfants d’ailleurs).

Dans la mythologie, l’un des premiers ogres est le dieu Cronos. Il est le plus jeune des 12 titans, les enfants d’Ouranos (le ciel) et de Gaia (la terre). Il dévore inlassablement ses enfants, car on lui avait prédit, qu’il serait détrôné, à son tour, par son propre fils. Souhaitant conserver son trône, c'est-à-dire son pouvoir, il ne peut alors que dévorer ses enfants. Symboliquement, l’Ogre représente la figure du père qu'il faut abattre pour devenir un adulte. Notons que Cronos ne se contente pas d’occire ses enfants pour préserver son trône, mais qu’il les dévore.

Lorsque l’on évoque la figure de l’ogre, un des contes de ma mère l’Oye de Charles Perrault revient souvent en tête : celui du petit poucet. Comme dans beaucoup de mythes, celui du petit poucet est un emblème de la victoire de l’intellect sur les forces brutes de la nature, du contrôle humain sur notre animalité primitive. Que surgisse à l’esprit d’une jeune maman, l’un des deux mythes ou bien encore un autre, c’est probablement le sentiment de la délivrance qui fera jour.La marque apparaîtra alors comme le moyen, le médiateur, de cette émancipation maternelle, et toute naturelle, des forces dévorantes de la jeune nature.

Il y a, à mon sens, une grande distance entre suggérer que la marque se propose de nourrir les passions gustatives naissantes d’un gentleman gastronome en culotte courte et de suggérer qu'elle apporte une solution aux appétits voraces d’un ogre. Education ou libération ? Le mythe véhiculé par la publicité peut éventuellement être un facteur déterminant de la formation de nos représentations mentales, y compris en ce qui concerne la « normalité » de nos comportements et ceux de nos enfants. Ces représentations pourraient servir de modèles, et possiblement influencer inconsciemment nos comportements. Cette influence peut se faire sous la forme d’une acceptation, consciente ou inconsciente, du modèle suggéré ou au contraire d’un rejet de ce modèle, qu’il soit conscient ou inconscient.

Elisabeth Badinter a récemment souligné combien la représentation qu’une femme pourrait avoir d’elle-même est possiblement conditionnée par de subtiles (ou mais aussi souvent pas toujours subtiles) influences. Elle met par exemple en exergue le sentiment de culpabilité que les mères sont susceptibles d’éprouver si l’on imposait une taxe aux couches culottes jetables pour des raisons écologiques.( Elisabeth Badiner : Le conflit, la femme et la mère, 2010.)

Bien évidement la marque, en devenant une composante d’un récit publicitaire, va également être affectée par les autres composantes du récit, par l’image des personnages représentés dans la publicité, par les symboles qui s’y intègrent, la musique, etc. Dans tous les cas, elle sera, au travers de la publicité, associée aux représentations mentales que le récit publicitaire fait surgir comme celles de l'enfant ou de la mère que nous venons de brièvement exposer.

Extraits alimentaires de Mythologies de R. Barthes.

Sur le Vin

Le vin est pour les Français une boisson-totem, correspondant au lait de vache hollandaise ou au thé absorbé cérémonieusement par la famille royale anglaise. Le vin est doté d’un fort pouvoir de conversion, de transmutation, capable de retourner les situations et les états, et d’extraire des objets leur contraire. Ses pouvoirs sont en apparence plastiques puisqu’ils changent selon l’usager. Pour l’intellectuel, le petit vin est synonyme de délivrance, d’abandon du monde artificiel (des cocktails), de passerelle vers une virilité naturelle, etc. Par contre pour le travailleur, le vin donne du « cœur à l’ouvrage » ; il est énergie, force vitale, facilitateur.
Croire au vin est un acte collectif contraignant. Celui qui tenterait de s’en échapper devrait s’en expliquer et s’exposerait à l’excommunication nationale. Pour celui dont le savoir boire est affirmé, le vin est intégrateur dans la communauté et qualificateur ; il sert au buveur de vin expérimenté à prouver à la fois son pouvoir de performance, son contrôle et sa sociabilité.[…] En France, l’ivresse est conséquence, jamais finalité.


Pour Roland Barthes, le lait est le contraire du vin.

Sur le Lait

[…] le lait est contraire au feu par toute sa densité moléculaire, par la nature crémeuse, et donc sopitive , de sa nappe ; le vin est mutilant, chirurgical, il transmute et accouche ; le lait est cosmétique, il lie, recouvre, restaure. De plus sa pureté, associée à l’innocence enfantine, est un gage de force, d’une force non révulsive, non congestive, mais calme, blanche, lucide, tout égale au réel.

Sur le Bifteck

Le bifteck participe à la même mythologie sanguine que le vin. C’est le cœur de la viande, c’est la viande à l’état pur, et quiconque en prend, s’assimile la force taurine. […] Manger le bifteck saignant représente donc à la fois une nature et une morale. Tous les tempéraments sont censés y trouver leur compte, les sanguins par identité, les nerveux et les lymphatiques par complément. Et de même que le vin devient pour bon nombre d’intellectuels une substance médiumnique qui les conduits vers la force originelle de la nature, de même le bifteck est pour eux un aliment de rachat, grâce auquel ils prosaïsent leur cérébralité et conjuguent par le sang et la pulpe molle, la sécheresse stérile dont sans cesse on les accuse. La vogue du steak tartare, par exemple, est une opération d’exorcisme contre l’association romantique de la sensibilité et de la maladivité […].

Sur la Frite

La frite est le signe alimentaire de la « Francité ».


En 2007, en hommage à Roland Barthes, sous la direction de Jérôme Garcin plus de 40 écrivains prenaient la plume pour partager leurs mythologies. Du speed-dating au plombier polonais, de l'iPod au GPS ou encore de la délocalisation au vélo en ville, ces nouvelles mythologies sont autant de reflets de notre société en ce début de 21e siècle.

L'agriculture et l'alimentaire y font déjà une belle figure avec la mythologie de La Garigette, Les OGM, Le phénomène Ducasse, La capsule Nespresso ou bien avec Le sushi. Mais Nouvelles Mythologies proposent aussi à ses lecteurs d'intéressants récits pour ceux, qui intéressés par le secteur de l'agroalimentaire, souhaiteraient mieux comprendre de manière holistique la société et les phénomènes qui l'animent : La délocalisation, Le vélo en ville, La fièvre de l'authentique, Le déclinisme, La passion des sondages, Les bobos, etc.

J'ai sélectionné de Nouvelles Mythologies Le sushi de Jean-Paul Dubois parce qu'il assure un lien avec les Mythologies que Roland Barthes publiait en 1957.


Le sushi

Jean-Paul Dubois

Comment sommes-nous si vites passés des beurres noirs de Curnonsky à l'épure des nigiris ? Des assiettes de charcuterie aux bouchées des malis ? De la viande de souche aux sachets de sushis ? C'était comme si, après avoir tant mastiqué les entrailles du monde, il s'était abandonné, les mâchoires repues, aux langueurs de la diète, se contentant d'un filet d'algue, d'une noix d'amidon et d'un brin de phosphore. En 1957, Roland Barthes écrivait : « Manger le bifteck saignant représente donc à la fois une nature et une morale [...] La frite est le signe alimentaire de la « Francicité ». » Cinquante ans plus tard, le sushi signe la fin des haricots, l'abandon des huiles bouillantes et la carne rougie au fer de la patrie. Hors du charnier natal, ce vieux pays erre donc désormais au grès des appétits rétrécis flairant distraitement les gamelles du monde. En ce moment la mode est au régime sec, à l'hygiénisme coronarien, au fildéférisme anodisé et à la flûte de shakuhachi (instrument de 54,5 centimètres dont l'échelle de base est ré, fa, sol, la, do) assaisonnée d'un filet de feng shui. Et ce n'est donc pas au hasard si, au gré des recettes, l'on vous précisera toujours les bienfaits de cette nouvelle « jouvence de l'abbé Sushi » : les poissons, ici roulés, sont riches en oméga 3 (acides gras polyinsaturés), le riz regorge de vitamine B1, le soja est le gingembre ont des vertus antiseptiques, le soja ruisselle de calcium tandis que le wasabi, dans sa virulence moutardière, prévient la formation des caries. Il n'en fallait pas davantage pour que cette terre de « francicité », jadis infestée par la goutte, et aujourd'hui en proie au doute, succombe à la savante pharmacopée d'une ordonnance nippone ni mauvaise.

(A suivre ...)



lundi 10 octobre 2011

Mythologies peri-alimentaires (1)

C’est en 1957 que Roland Barthes publie Mythologies, un ensemble de textes écrits entre 1954 et 1956. Comme l’auteur le dit dans sa préface de 1970, il poursuit à l’époque deux objectifs :


« … d’une part une critique idéologique portant sur le langage de la culture de masse ; d’autre part un premier démontage sémiologique de ce langage : je venais de lire Saussure et j’en retirai la conviction qu’en traitant des « représentations collectives » comme des systèmes de signes on pouvait espérer sortir de la dénonciation pieuse et rendre compte en détail de la mystification qui transforme la culture petite-bourgeoise en nature universelle. »


Notre projet est ici moins ambitieux que celui de Roland Barthes. Il ne s’agit pas de dénoncer mais de bien comprendre quels pourraient être les bénéfices, mais aussi les risques de la mise en récit de la marque. Nous focaliserons notre attention sur les marques alimentaires. Nous tenterons de décortiquer leurs publicités, lorsqu’elles s’expriment sous une forme de récit. Attacher un récit à la marque (brand story) semble devenir, au moins aux USA, la continuation naturelle de la démarche de construction d’une image (brand image). La marque devient alors récit (mythe) en s’intégrant dans un récit, celui que les publicités nous racontent. Comme c’est le cas dans quelques publicités actuelles, plus particulièrement dans le secteur automobile, la marque fait aujourd’hui de plus en plus souvent des références explicites à son histoire personnelle, ses heures de gloire, sa naissance, etc. Parfois, l’entreprise remet même au goût du jour les produits qui ont fait autrefois sa célébrité (par exemple, Fiat 500)

Depuis l’antiquité déjà, la valeur des récits (mythologies) n’est plus à justifier : les récits structurent notre vie et celle des peuples. Certains ont vu dans l’effondrement du mur de Berlin la fin de l’histoire, celle au moins des deux grands récits qui ont structurés le 20e siècle : le communisme et le capitalisme. Des philosophes ont même interprété le phénomène Otaku comme autant de tentatives individuelles et collectives de recréer les récits qui nous font aujourd’hui défaut.

Les deux déterminations exprimées par Roland Barthes dans la citation ci-dessus, nous permettent de mieux comprendre l’utilisation qu’il fait du terme Mythologies pour rendre compte des fausses évidences qu’il cherche à débusquer dans les récits de cette époque. Pour lui, le mythe tout entier est un message. Et tout, ou presque tout, peut alors devenir Mythe. Comme tout message, il peut être décortiqué et analysé à l’aide de la sémiologie. Cependant le mythe n’est pas un message simple, un message primaire. C’est plutôt une combinaison, un assemblage de messages primaires, lesquels s’ils sont bien interprétés dans un récit peuvent voir leurs effets se décupler.

Après une courte définition du Mythe et des mécanismes impacts, nous présenterons dans un premier temps de manière sommaire quelques uns des « décryptages » que Roland Barthes produisit à l’époque sur le vin, le lait, le bifteck et les frites, puis nous tenterons dans un second temps de réaliser ce dur exercice à partir de quelques publicités alimentaires et non alimentaires contemporaines. Cependant, nous focaliserons notre regard sur le récit mais pas sur le produit. C’est pour cette raison que ce carnet s’intitule Mythologies péri-alimentaires, en ce sens que les composantes étudiées pourraient très probablement s’appliquer à un grand nombre de marques ou de produit si tel était le souhait des entreprises.

(A suivre ...)

Faites nous part de vos mythiques histoires alimentaires.

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