Le Camembert un fromage intégrateur?
Ce carnet est la suite de Mythologie peri-alimentaire (1-4) et (5)
Lorsque l’on plonge dans l’univers publicitaire du camembert, on peut noter des grandes similitudes.
1. À quelques exceptions près, les publicités pour le camembert mettent en scène un groupe composé exclusivement d’hommes, des amis intimes, qui procèdent implicitement à l’intégration d’un nouveau membre.
2. L’adoubement se fait à l’issue d’un rite au cours duquel un ou plusieurs membres du clan initient l’aspirant à l’art délicat de la « dégustation » du camembert. Celui-ci, objet médiateur, permet d’accéder par sa subtile absorption à un état de conscience supérieur. Il permet à l’homme initié de communier avec les forces tutélaires ou régénératrices de la nature.
3. L’intégration clanique est achevée. Le candidat, enfin initié, peut rejoindre ses compagnons, ou doit-on dire, ses nouveaux frères dans la confrérie des amateurs éclairés de camembert.
Une première alternative procède à l’intégration d’un nouveau membre, également masculin, dans sa future belle famille. Dans cette version, le père de famille, seul ou trônant au centre de sa famille, procède à l’évaluation du prétendant au travers d’une épreuve dans laquelle le camembert joue un rôle. Le candidat est-il digne d’intégrer la famille ? Cela sera le cas, s’il passe avec succès les épreuves auxquelles le père, juge et intégrateur le soumet. Au grand soulagement de sa future épouse, il passe cette première épreuve avec succès et conserve toutes ses chances pour la suite du processus d’intégration dans sa nouvelle famille.
Une seconde alternative procède à l’incorporation d’un couple d’amis étrangers dans la citoyenneté par l’initiation au bon goût Français. Le camembert est l’élément intégrateur. En consommer, c’est renouveler implicitement ses vœux ou témoigner de sa bonne intégration dans la bonne société.
Le camembert a un rôle critique, mais sensiblement différent, dans ces 3 rituels. Dans tous les cas, il participe aux processus de transformation. Le résultat du processus est favorable aux prétendants. Dans le premier et le troisième scénario, la transformation est duale : il y a initiation et intégration. L’initiation permet l’intégration de l’initié dans le groupe. L’image du groupe intégrateur est alors particulièrement importante pour procéder à l’intégration par procuration du téléspectateur. S’il s’identifie imparfaitement aux membres de la confrérie qui procèdent à l’intégration du prétendant, alors il est susceptible de ne pas consommer le produit dont l’incorporation ferait de lui implicitement un membre. Dans le premier cas, il peut cependant espérer accéder par l’incorporation corporelle du camembert à cet état supérieur de conscience, incorporer les forces de la nature.
Dans le second scénario, le prétendant doit prouver sa qualité lors de l’épreuve du questionnement. Cette épreuve évoque celle de l’énigme à laquelle le sphinx soumit Œdipe. L’affrontement n’est point physique contrairement à un grand nombre d’épreuves de la mythologie antique. Le succès de prétendant témoigne de sa qualité d’initié, de sa sagacité, de son intelligence et dans le cas du camembert de son bon goût, de son savoir vivre.
Le rite de l’intégration, s’il s’achève avec succès dans les deux cas, ne fait pas appel aux mêmes capacités de l’impétrant. La finalité est globalement la même, l’intégration ; mais le mode d’intégration est très différent. Dans le premier scénario, les dimensions hédoniques et conviviales dominent, alors que dans le second scénario les dimensions cognitives sont essentiellement mises en scène. Le premier camembert s’adresse à ceux qui cherchent l’éveil des sens, mais un éveil partagé au sein d’une fraternité. Les figures féminines sont exclues. Dans le second scénario, il y a certes intégration, mais aussi éventuellement une officialisation de la conquête de sujet tant désirée. Alors que Paris vaut bien une messe, officialiser une conquête vaut bien un diplôme es camembert. « Jeunes gens à vos études ! » suggère la publicité.
Les rites de passages ont été particulièrement étudiés au début du siècle dernier par Arnold van Gennep (Les rites de passage, 1909). Alors que ses prédécesseurs avaient concentré leurs efforts sur la forme et la signification d’une des composantes du rite, il s’intéressa à leur structure, leur enchaînement. Il constate que la structure des rites de passage est (presque toujours) ternaire. Dans la première phase (premier rite), le postulant est séparé de manière symbolique du groupe qu’il va rejoindre ; il est marginalisé. La seconde phase est celle de l’apprentissage (second rituel). Dans la troisième, le prétendant est intégré dans le groupe (troisième rite).
Certaines publicités pour les camemberts sont structurées en trois temps. Les acteurs vont en premier lieu rejoindre, en groupe, le site sur lequel les rites de passage vont advenir. Les rites de passages sont régulièrement situés au cœur d’une nature verdoyante et généreuse. Le frère initiateur, procède à la marginalisation du postulant en l’attirant à l’écart du groupe. C’est alors que le novice est initié. Puis, l’initiateur et le nouvel initié retrouvent à nouveau le groupe.
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