mercredi 31 janvier 2024

Sur les transitions technologiques et leurs risques


Le mot « transition » est passé aujourd'hui dans le vocabulaire courant. Nous avons même un ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. Cependant, l'histoire a montré que le phénomène de transition, c'est-à-dire du passage d'un état dans un autre, ne conduit pas toujours à un état final désirable. Les bonnes intentions ne sont pas suffisantes pour garantir un état final supérieur en qualité à l'état initial.

Des étudiants de première année suivant un bon cours d'économie ou de sociologie ont probablement découvert que le recours à l'innovation technologique pour régler des problèmes du présent peut avoir des effets pervers dans le long terme.  Il suffit de relire les travaux Hartmut Rosa, le sociologue du temps, sur l'accélération pour se rendre compte que les gains de productivité vont souvent de pair avec l'accroissement de la production. Si l'email est source de productivité accrue par rapport aux lettres en papier, le nombre des échanges épistolaires a considérablement augmenté. Pour un rien, on envoie aujourd'hui un email. Et pour celui ou celle qui reçoit le message, il est nécessaire de passer du temps à faire le tri et à répondre aux mails pertinents. Une innovation qui nous semblait intéressante conduit à "l'aliénation". Ce mot est fort, mais c'est celui utilisé par H. Rosa. Nous devenons alors esclaves d'un processus. Alors que l'innovation initiale avait pour objectif de libérer du temps, ses effets sont contraires. Dans le domaine de la mobilité personnelle, un problème similaire se pose. La voiture fait fi des distances, mais les embouteillages annulent les effets initiaux. A-t-on oublié le paradoxe de Braess? La promesse des réseaux sociaux de permettre une émancipation des monopoles de l’information s’est avérée infondée. Les fake news et les manipulations en tout genre mettent en danger les processus démocratiques.


Les centres de recherche spécialisés dans l'étude des systèmes nous alertent régulièrement sur ce phénomène. Ils nous disent en substance de chercher à comprendre les effets dans le long terme des initiatives que nous prenons dans le présent. Initiatives prises pour régler les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd'hui. Certaines solutions peuvent, dans un temps long, aggraver les problèmes initiaux ou être sans valeur.


Je ne dispose d'aucune solution, mais la piste du découplage entre les gains de productivité et la production pourrait être explorée. Certes tous les secteurs ne se prêtent pas facilement à une restriction des volumes de la production. Le secteur agricole doit être en mesure de nourrir une population toujours croissante tout en en préservant les ressources et en offrant une qualité de vie aux agriculteurs. Celle-ci doit permettre leur renouvellement. En France, environ 50 pour cent des agriculteurs devraient partir à la retraite au cours des dix prochaines. Le taux de renouvellement actuel ne laisse rien présager de bon. Comment produire plus si le nombre des agriculteurs chute dramatiquement ? 

Une seconde piste consiste à envisager d'altérer le portefeuille des produits. Toutes les productions possèdent elles la même valeur future pour la société? Certes, il est difficile sans un accompagnement de qualité de demander à une personne de renoncer à son métier d’origine et d'en changer pour exercer un autre métier. Mais, ce n'est pas impossible!


À vouloir se concentrer sur les problèmes actuels et leur résolution, non seulement nous risquons d'être confrontés aux effets pervers de ces solutions, mais être surpris par l'émergence de nouveaux et délicats défis.


Dans les entreprises, un des diagnostics les plus délicats est celui de la capacité. Est-ce que le système de l'entreprise ou celui de la chaine de valeur dans laquelle l'entreprise est située sont en capacité pour affronter les défis du futur ? Encore faut-il être en mesure de visualiser ces défis, tous les défis. Si la réponse à cette question est positive, alors il est encore possible de faire évoluer le système, de l'adapter. Par contre, si le système n'est pas en capacité, alors il est nécessaire, comme le disait alors Franck Riboud PDG du Groupe Danone, de faire RESET, de partir d'une feuille blanche. Dans les processus d'assurance de qualité des entreprises, la même question se pose: est ce que notre outil est en mesure de satisfaire aux spécifications de qualité. Si ce n'est pas le cas, il faut changer d'outil.


À regarder les débats qui animent notre pays aujourd’hui, on ne peut que s’interroger sur le processus mis en oeuvre pour permettre à l’agriculture française de se développer harmonieusement et de mieux servir la société et l’environnement tout en régénérant ses propres forces. Le message des agriculteurs est clair. Nous ne pouvons nous intéresser à la résolution des problèmes du futur, si nous sommes, à la fin du mois, tous morts! Le message est clair. Cela implique donc un triple objectif : 1./ sauver, aujourd'hui, l'agriculture, 2./ lui donner les moyens de la transition vers  3./ un modèle adapté ou adaptable ou défis du monde futur. Si nous n'avons pas la solution peut-être devrions-nous nous attacher à mettre en oeuvre un processus, une démarche, qui vous permettent de la trouver.

mardi 30 janvier 2024

De nouvelles marques alimentaires centrées sur les bénéfices pour les consommateurs et le climat.


 2030. Nous sommes dans le futur. Mais aujourd'hui, le site de la Fondation Ellen MacArthur nous propose une marque alimentaire du futur. La fondation met, ces derniers jours, en avant les produits de Regenerate à la marque Climate Crunch.  Pour les lecteurs français, dénommer une marque "Crise Climatique" peut paraitre surprenant. Mais, en Anglais le mot Crunch possède différent sens. L'adjectif crunchy correspond en français aux adjectifs croustillant ou croquant, ce qui pourrait faire référence aux qualités organoleptiques des produits. Mais finalement, ces produits nous invitent à contribuer, par leur achat et leur consommation, à la lutte contre le changement climatique. D'ailleurs, sur le site de la fondation, on apprend que d'une bouchée à l'autre, les consommateurs contribuent à une forme d'agriculture propice à la lutte contre le changement climatique. Les agriculteurs peuvent, par leur pratique, les champions de la lutte contre le changement climatique. Les consommateurs peuvent leur donner un coup de pouce en achetant leurs produits. 


Il n'est pas surprenant de mettre en avant des produits favorisant une cause. Habituellement, cette approche repose sur un label. C'est par exemple, le cas pour les poissons issus de pêcheries gérées de manière durable avec le label MSC. C'est aussi parfois le cas lors de campagne auxquelles une marque peut s'associer, comme c'est le cas avec l'approche CRM (Cause-Related Marketing). Nous pouvons penser aux campagnes de Volvic avec l'UNICEF. Lors des journées Ruban Rose (journées de sensibilisation à la prévention du cancer du sein), certaines marques affichent le ruban sur leurs produits, par exemple Yoplait. 


Par contre, il est plus rare que la marque soit le support principal de la cause. C'est par exemple le cas d'une marque bien connue des consommateurs et des professionnels de l'agroalimentaire français: qui est le patron?  La marque fictive présentée dans le blog de la Fondation Ellen MacArthur pourrait bien devenir une approche dominante dans le domaine de la production et de la consommation alimentaire.





















jeudi 26 mai 2022

La robotique : une solution au manque de serveurs dans les restaurants?

Depuis de nombreuses années déjà je m'intéresse aux solutions techniques qui pourraient se substituer à une pénurie de main-d'oeuvre ou bien encore réduire la pénibilité et, se faisant, permettre aussi à certaines personnes de réaliser des tâches qu'elles ne pourraient autrement accomplir.

Mais ces solutions techniques remplissent d'autres fonctions. Par exemple, les distributeurs automatiques implantés dans certaines villes japonaises (et en France également) permettre d'étendre les heures d'ouverture pour des clients dont les horaires ne sont pas toujours compatibles avec les horaires d'ouverture des magasins. L'agriculture verticale japonaise permet non seulement de répondre au vieillissement des agriculteurs, mais son implantation à proximité des villes réduit les coûts logistiques, sa verticalité limite son empreinte au sol, elle consomme peu d'eau, etc. 

Aujourd'hui, en France et ailleurs, les restaurateurs font face à une pénurie de main d'oeuvre, souvent dans la cuisine et en salle. Ce ne sont pas les seuls. D'autres activités sont également touchées. Ces pénuries contraignent l'activité des restaurateurs, mais également celles de leurs fournisseurs, et des fournisseurs de leurs fournisseurs. Ainsi, les activités des brasseurs sont également affectées. Moins de serveurs dans les bars affecte négativement la fréquentation de la clientèle, laquelle affecte la consommation de bière, puis l'activité des brasseurs, etc.

Pour pallier à cette pénurie, une approche clinique permettrait d'identifier les causes de cette pénurie et possiblement des solutions pertinentes visant à corriger les effets des causes. Cependant, dans l'impossibilité de corriger les causes, les entrepreneurs doivent envisager des solutions de substitution. 

Il existe plusieurs pistes. Certaines sont déjà utilisées. Les clients représentent une main-d'oeuvre disponible. Ainsi, aujourd'hui dans de nombreux restaurants, le client vient lui-même chercher au comptoir les plats qu'il dégustera en salle. Les buffets sont également un moyen de palier au manque de main d'oeuvre. Dans ces deux cas, et d'autres encore, les clients deviennent des coproducteurs. Les clients débarrassent également les tables. 

Plusieurs systèmes techniques sont aujourd'hui disponibles. Certains restaurants à Sushi sont équipés de tapis roulants. Lors des derniers jeux olympiques, les plats étaient livrés des cuisines aux tables des restaurants par un système de plateaux, de câbles et de rails installés sur les plafonds des salles. Je vous invite à regarder cette vidéo, laquelle donne un aperçu du dispositif.


Cette solution technique est relativement simple. Des solutions plus évoluées mettent en oeuvre des robot-serveurs qui se déplacent de la cuisine à la salle. Pour l'instant il ne réalise que certaines des taches effectuées par un serveur. Lorsque les plats sont prêts en cuisine, ils les apportent aux convives en salle. L'un des fournisseurs de solution robotisée est l'entreprise Keenon Robotics (Shanghaï). Cette vidéo présente l'un de ses produits.


Demain, ces robots seront probablement susceptibles de réaliser la totalité des opérations effectuées par un serveur: réception des convives, accompagnement en salle, présentation du menu, prise de la commande, etc. Mais, toutes ses opérations n'ont pas besoin d'être confiées à un robot: une application sur un smartphone permet d'en réaliser un grand nombre. Celle-ci peut également servir à la réservation ou bien encore informer le client de la disponibilité de tables, etc. L'assemblage technologique idéal reste encore à définir! 
 





mercredi 25 mai 2022

La négation des problèmes : une question d'aversion aux solutions?

Plusieurs expériences réalisées par des psychologues ont montré que notre aversion aux solutions à un problème nous amène souvent à nier l'existence du problème. C'est en particulier le cas pour le dérèglement climatique, mais pas uniquement. La négation d'un problème nous amène ensuite à formuler des critiques et à développer des arguments fallacieux. 


En 2014, Troy H. Campbell et Aaron C. Kay de Duke University, ont exploré ce phénomène et publié un article qui reste aujourd'hui une référence (Solution Aversion: On the Relation Between Ideology and Motivated Disbelief, Journal of Personality and Social Psychology, 2014, Vol. 107, No. 5, 809–824). 


Leur exploration consiste en une série de trois expériences, imbriquées les unes dans les autres. Ces expériences sont réalisées aux États-Unis avec des habitants de ce pays. La première expérience connecte l'affiliation politique des personnes interrogées (Démocrate ou Républicain) avec deux énoncés scientifiques. Ils sont tous les deux issus d'un large consensus scientifique. Le premier énoncé porte sur la croissance projetée de la température moyenne de la planète ; le second stipule que l'origine du dérèglement climatique est d'origine humaine. Deux autres dimensions ont été explorées en relation avec l'affiliation politique des personnes interrogées. Il est nécessaire de préciser que l'affiliation politique est importante dans la mesure où ces parties ont des positions substantiellement différentes s’agissant des politiques économiques étatiques. Les personnes interrogées doivent indiquer si les solutions pour lutter contre le changement climatique auront un impact négatif ou bien positif sur l'économie. La seconde question porte sur le rôle du "free market" sur la puissance d'un pays. Les chercheurs observent une corrélation entre l'appréciation de l'effet des solutions sur l'économie et l'acceptation des deux énoncés scientifiques. L'affiliation politique joue un rôle indirect. 


La seconde expérience manipule la perception des solutions pour les répondants les plus sceptiques vis-à-vis des deux énoncés scientifiques afin d'estimer si la corrélation possède une dimension causale. Comment l'opinion des plus sceptiques évoluerait-elle, si les solutions présentées pour lutter contre le changement climatique étaient cohérentes avec leurs valeurs ? Par exemple, selon les chercheurs, s'ils sont "climato sceptiques", c'est parce qu'ils pensent que les effets sur l'économie des politiques étatiques pour lutter contre le changement climatique seront négatifs. En leur montrant que l'on peut lutter contre le changement climatique par l'intermédiaire d'un mécanisme de type "free market" (c'est-à-dire sans avoir recours à une politique étatique) et que cette méthode aura un effet positif sur l'économie. Pour les deux énoncés scientifiques, la perception de leur validité n'a été que modérément affectée pour les affiliés aux idées des démocrates, mais cette manipulation a significativement affecté celle des républicains, démontrant ainsi qu'une relation causale est probable. Les républicains sont en nombre (et en fréquence) plus sceptiques que les démocrates en ce qui concerne les faits scientifiques énoncés.


La troisième expérience explore de manière plus fine la relation causale en zoomant sur les républicains et séparant ce groupe selon leur degré de conviction politique (faible ou forte idéologie pour le "free market").  Avec cette expérience, les chercheurs ont testé la perception de la validité de l'effet de la pollution sur la santé des personnes. Les résultats sont en cohérence avec l'hypothèse selon laquelle le scepticisme est positivement associé à une aversion pour les solutions. 


Chacun de nous a probablement été en mesure d'apprécier ce phénomène dans une ou plusieurs situations. Cette étude montre que le phénomène n'est pas isolé à un petit nombre de personnes. Il n'est pas surprenant qu'un des moyens les plus puissants pour créer une forme de scepticisme ou de négation de la science (et des faits) soit de montrer que les solutions ne sont pas acceptables pour des raisons d'idéologie politique ou de morale. Par exemple, il est aisé d'accroitre, aux États-Unis, le scepticisme des chrétiens vis-à-vis de l'origine humaine du changement climatique. Il suffit de leur dire que le contrôle de la taille de la population - soit en contrôlant les naissances ou en écourtant la vie - fait partie des solutions envisageables pour lutter contre le changement climatique.


Ce phénomène est connu sous le vocable de "scepticisme motivé" (motivated skepticism) et fait partie d'un phénomène dénommé raisonnement motivé. Tout simplement, nos raisonnements tendent à favoriser les solutions avec lesquelles nous sommes en accord par idéologie, expérience ou intuition. De la même manière nous sommes prêts à nier l'intérêt des solutions qui mettent en danger notre idéologie, challengent nos expériences ou bien s'opposent à notre identité, professionnelle ou individuel, ou à nos plaisirs. Le scepticisme motivé s'attaque quant à lui aux fondations scientifiques des solutions que nous rejetons.


Cette étude nous montre que lorsque des solutions nous sont présentées comme cohérentes avec notre système de valeur, nous avons alors tendance à accepter la solution, mais également les faits scientifiques sous-jacents. Faire des efforts pour lutter contre le changement climatique est souvent considéré par nos concitoyens comme un renoncement à une certaine forme de confort. Mais, renoncer à la lutte contre le changement climatique n'est pas le moyen le plus sûr de maintenir notre niveau de confort demain. Dans les deux cas, l'argument met en avant le maintien d'un haut niveau de confort. Cependant, la direction des actions est inversée. Et dans le second cas, le changement climatique sera plus facilement considéré comme un fait scientifique, parce que ne pas lutter contre le changement climatique affecte négativement notre futur niveau de confort.


Ce phénomène s'applique également aux choix alimentaires. Si une personne apprécie certains produits riches en matières grasses, alors il est probable qu'elle fasse preuve de scepticisme sur le risque de maladies cardiovasculaires qui sont imputées à certaines matières grasses. Cette personne ne souhaite pas être privée de ces produits qui agrémentent sa vie. Mais, cette attitude peut être substantiellement altérée si l’on peut leur démontrer qu'ils auront autant de plaisir à déguster des produits plus maigres. S’il existe une solution qui leur permet de ne pas renoncer aux plaisirs de la table, alors ils seront prêts à accepter ces faits scientifiques. 


      



  

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