mardi 21 avril 2015

Quelle est la valeur ajoutée des drives : créateur de valeur ou instrument de capture de la valeur ?

L'analyse d'une manœuvre stratégique par la valeur est encore peu pratiquée, malgré un intérêt indéniable. Son arithmétique est différente de celle habituellement pratiquée par les dirigeants. C'est probablement l'une des raisons pour laquelle elle est restée à la porte d'un grand nombre d'entreprises, mais pas de toutes.

L'analyse par la valeur des mouvements stratégiques dans une industrie repose sur les concepts d'apport (ou de retrait), de valeur ajoutée et de redistribution de la valeur. Par rapport, à une situation initiale, il s'agit de comprendre quelle valeur sera générée par une manœuvre, par exemple une augmentation de la capacité de production. On doit différencier l'apport (Chip) de la valeur (Stake) qu'il génère. La différence entre les deux est la valeur ajoutée. L'estimation de cette grandeur permet d'éclairer la dynamique future du marché. Éclairons ces aspects par une illustration. 

Plaçons-nous dans le cas d'un marché arrivé à maturité. Autrement dit, la demande est durablement stagnante comme c'est le cas de l'alimentation en France. Pour le temps de l'exercice, considérons que la demande alimentaire n'évoluera pas en volume, même si le prix baisse et que le prix de vente final restera le même. 

Supposons que l'un des acteurs de la distribution décide d'ajouter à son réseau quelques drives et que les autres distributeurs suivent également cette voie. À l'évidence, ces drives rentrent dans la catégorie des apports au marché. Quelle est la valeur générée par cet apport ? Comme par hypothèse, ces apports n'augmentent pas les volumes achetés ni les prix... la valeur générée ne peut être positive que si les nouveaux apports remplacent des actifs existants (par exemple si l'on ferme autant de magasins) et si les charges d'exploitation des premiers sont inférieures à celles des seconds. Si ce n'est pas le cas, les apports ajoutent des capacités supplémentaires sans surcroit de valeur. Dans ce cas, la valeur ajoutée est négative.

Au cours des années 1980, une seule entreprise propose de l'Aspartame. Il s'agit de Nutrasweet du groupe Monsanto - Searle. Elle apporte alors de la valeur au marché dans la mesure où elle permet à ses clients d'offrir aux consommateurs des sodas avec des édulcorants, le plaisir sans les calories. Sans l'Aspartame, Coca-Cola et Pepsi-Cola, pour ne citer que les deux principaux acteurs de ce marché, ne seraient pas en mesure d'offrir des produits Diets ou bien avec un coût très largement supérieur. Pour fixer les idées, nous dirons que le marché des produits "Diet" ainsi créé est de 100 pour un apport de 10 (Chip) et un coût de production de 20. Nutrasweet a donc avec ses clients ajouté au marché 70 unités de valeur pour un apport de 10. Cet investissement a été dimensionné pour produire plus que ce que le marché de l'époque est en mesure d'absorber, disons, 20 unités supplémentaires.

 Lorsqu'à la fin des années 1980 les brevets de Nutrasweet expirent, un second opérateur entre dans le marché avec un produit parfaitement identique. Sa taille est moins importante. Nous dirons que son apport est de 4. Quelle est la valeur ajoutée de cet apport ? Pour que cette valeur soit positive, il faudrait que cet apport de 4 unités soit en mesure de créer des ventes supplémentaires au-delà des 120 unités que les installations de Nutrasweet sont en mesure de produire. Mais ce n'est pas le cas, sa valeur ajoutée est donc nulle. Ses ventes se feront au détriment des ventes de Nutrasweet. Cet apport est même en mesure de réduire la valeur que les producteurs d'Aspartame capturent sur ce marché si le prix de ce produit baisse. La valeur ajoutée n'est pas réduite, mais elle change de poche. Si avant l'arrivée de concurrent, Nutrasweet capturait 80 % de la valeur ajoutée par l'Aspartame, après l'entrée d'un concurrent, les producteurs d'Aspartame ne capturent plus que 50% de la valeur ajoutée en raison de la baisse des prix.

Quelle est la valeur ajoutée du "drive" pour les entreprises qui proposent ce service aux clients ?
Pour quelle soit positive, il faut que l'investissement cumulé de tous les drives (les apports) et leurs coûts de fonctionnement et commerciaux aient produit des ventes supplémentaires supérieures ! Si les ventes des drives sont prélevées sur d'autres formats, alors la valeur ajoutée des drives est nulle. Si c'est le cas, les drives ne sont uniquement que des instruments de capture de la valeur, mais en aucun cas des dispositifs créateurs de valeur. La consommation alimentaire des Français a-t-elle augmenté avec les drives ? Les surfaces commerciales ont-elles été réduites proportionnellement aux ventes des drives ? Je laisse aux lecteurs le soin de la conclusion !

  

1 commentaire:

Lisa a dit…

Votre article, très complet, m'a permis de mieux comprendre certains concepts ! Je trouve également vos exemples très intéressants et pertinents. C'est vrai que l'on s'y perd parfois dans l'univers de la consommation hors foyer...

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