Il y a quelques jours Madame Julie Ruiz, journaliste au Figaro, m'a interrogé sur la fin des super promotions, une mesure issue des états généraux de l'alimentation. Vous trouverez ici le lien vers son article en ligne. Les commentaires des lecteurs sont également très intéressants. Je vous invite à les parcourir.
Réduire les promotions : est-ce une bonne idée ? Quels vont être les effets de ces réductions ? Est-ce que les agriculteurs vont mieux gagner leur vie ? Toutes ces questions sont pertinentes, mais y répondre est une véritable gageure.
Pour répondre à ces questions, il me semble important de nous demander si finalement on pourrait faire mieux sans les promotions, mais pour tous : consommateurs, distributeurs, industriels et agriculteurs. Il n'est pas question dans le format court d'un billet de rentrer dans les détails, c'est pourquoi je vous propose de regarder ces questions en restant partiellement en dehors de la boite et en restant sous le voile de l'ignorance, c'est-à-dire à penser en faisant abstraction de nos propres intérêts. Personnellement, en tant que consommateur, je suis satisfait d'acheter mes marques préférées en promotion plutôt que de payer le prix fort.
Aujourd'hui, de nombreuses filières agroalimentaires françaises sont dans une situation économiquement délicate. L'analyse par la valeur nous invite à nous poser deux questions importantes concernant les promotions. La première : Est ce que les promotions dissipent de la valeur ? Est ce que les promotions peuvent être considérées comme analogue pour la chaleur (la valeur) d'un logement (la filière) à une fenêtre malencontreusement laissée ouverte (la promotion) pendant la journée alors que le chauffage marche et que les résidents sont sortis. Si l'analogie était satisfaisante, nous serions tous enclins à penser qu'il faut arrêter les promotions (fermer la fenêtre). Mais, n'est-ce pas le cas ? Quels sont les effets des promotions ? Tous les effets !
Certes, on recommande d'aérer son logis... mais, pas tous les jours la quasi-totalité de la journée. Seulement, quelques minutes par jour! Les promotions ne sont pas nuisibles en tant que telles... mais leur permanence et leur amplitude pourraient l'être !
Pour s'assurer que les promotions dissipent de la valeur en dehors des filières... il faut se demander quel est l'équivalent de la chaleur qui s'échappe de la fenêtre restée ouverte. Il s'agit de denrées qui sont produites et que ne seront jamais consommées. Autrement dit, des denrées pour lesquelles la filière a payé, mais qui n'apportent pas au consommateur de bénéfice. Le gaspillage alimentaire semble le candidat parfait. Un (ou plusieurs) des acteurs a dépensé... mais personne n'en tire de bénéfice. Sauf peut-être les entreprises spécialisées dans le traitement des déchets.
Est-ce qu'il y a un lien entre les promotions et le gaspillage alimentaire ? Certains des commentateurs disent qu'ils ne gaspillent pas. Leurs exemples sont instructifs. Comme moi, ils stockent des produits achetés en promotion pour un usage ultérieur. Mais, ils parlent essentiellement de produits qui ne sont pas périssables. Il est plus difficile de ne pas gaspiller lorsqu'il s'agit de produits périssables. Ce n'est pas impossible, mais c'est plus délicat. Cela demande une bonne planification.
Il est donc concevable que les promotions n'engendrent pas de gaspillage pour certains produits, mais il est tout aussi concevable qu'elles produisent un gaspillage... et puis les consommateurs ne sont les seuls concernés. Le gaspillage touche aussi les distributeurs, les industriels et les producteurs, cependant pas avec la même intensité. Quoi qu'il en soit, il n'est jamais judicieux de s'interdire d'estimer les effets d'une action commerciale sur le gaspillage.
Si les promotions avaient un impact important sur le gaspillage alimentaire, quel que soit le niveau de la filière, il faudrait encore penser à un système qui laisse chacun des acteurs mieux sans promotion qu'avec les promotions, les consommateurs incluent. Cette politique est celle pratiquée par Walmart, le premier distributeur mondial : Everyday low price ! Si elle bénéficie à l'enseigne et à ses clients... il n'est pas certain que cette politique de prix (et de refus des promotions) soit également bénéfique aux industriels et aux producteurs. À voir !
Il est possible de faire une évaluation rapide (et erronée) du budget d'une filière pour savoir si l'amont trouvera possiblement son compte avec la suppression des promotions. Supposons que sur une valeur totale de 100 euros payés par le consommateur aujourd'hui, on supprime les promotions et disons que le consommateur doit dépenser 105 euros en absence de promotion. On doit alors se demander si les 5 euros de plus laissés par le consommateur dans les filières alimentaires seront suffisants pour rémunérer les agriculteurs et les industriels. Si l'on restreint la conservation de valeur imputable à la réduction des promotions à la filière du produit... cela permet d'envisager la valeur que l'on peut redistribuer. Par exemple, dans la filière laitière qu'elle est la fréquence des promotions, leur amplitude .... est-ce que la valeur estimée des gains sera suffisante pour mieux rémunérer les milliers de producteurs laitiers. À voir !
La littérature scientifique peut éclairer partiellement le lecteur sur quelques effets surprenants des promotions (et montrer la complexité du problème) ou bien encore sur d'autres facteurs à prendre en considération. Alors que l'effet des promotions sur les ventes du produit en promotion sont bien documentées et leur effet en général positif, l'effet des promotions sur les dépenses (le panier) est moins bien documenté. Cependant, les promotions semblent très souvent augmenter la valeur totale du panier. Autrement dit, en achetant moins cher quelques produits, le consommateur achète plus en volume, mais aussi en valeur. Une promotion nous donne l'impression de disposer d'un plus grand revenu que nous pouvons alors allouer à l'achat d'autres produits et elle nous met de bonne humeur. Par exemple, si nous gagnons un euro par l'intermédiaire d'une promotion, il est fréquent que l'on dépense en 5 et 10 euros de plus dans un autre rayon. Mais, cela dépend du moment du parcours dans le magasin où l'on achète en promotion. En effet, beaucoup de consommateurs établissent une liste de produits à acheter (40 à 60 % des produits d'un panier) et fixent un budget à ne pas dépasser (avec une petite marge discrétionnaire). S'ils achètent un produit sur leur liste en promotion au début de leur parcours dans le magasin, alors qu'ils sont encore loin du budget fixé, ils auront l'impression que leur budget s'est élargi du fait de l'achat en promotion. Par contre, lorsque la promotion est en fin de parcours, lorsque le budget est presque bouclé, ils sont moins enclins à dépenser plus. (Pour être honnête, le processus est plus complexe que cela). Ce qu'il me semble intéressant de garder en tête, c'est que les promotions semblent affecter notre "budget mental" et pas uniquement nos dépenses. Nous sommes confrontés à un nouvel exemple de biais cognitif. En effet, logiquement si l'on fixe son budget à 100 euros, et que l'on bénéficie de plusieurs promotions, on peut acheter plus de produits pour 100 euros. Mais, certaines promotions nous donnent l'impression que l'on peut dépenser plus que les 100 euros budgétisés.
L'allocation de ce budget "supplémentaire" dépend de la taille du budget disponible. Les personnes disposant d'un budget modeste ont tendance à acheter un produit sur leur liste, mais dans une version de meilleure qualité. Alors que les personnes disposant d'un budget plus important achètent un volume plus important d'un produit sur leur liste, surtout s'il s'agit d'un produit que l'on peut stocker.