En tant que
consommateur, ce n'est pas uniquement la qualité « générale » des produits de
l'entreprise que nous questionnons ou bien ses méthodes de production. Pour ces
deux aspects, l'entreprise est, de fait, considérée comme compétente. Nous
pouvons nous interroger sur certaines de ses pratiques, mais aussi sur les
opinions qu'elle met en avant dans les médias ou des aspects plus spécifiques de
la qualité de ces produits.
J'avais, il y a
quelques années, questionné des nutritionnistes ou des médecins sur le rôle que
devaient jouer les entreprises agroalimentaires dans l'éducation nutritionnelle
des consommateurs. Leurs réponses étaient presque unanimes : les entreprises
n'étaient pas qualifiées pour parler de nutrition aux consommateurs ! Elles
n'étaient pas légitimes pour parler de nutrition, et cela même si elles
comptaient parmi leurs employés des nutritionnistes ou si elles en consultaient.
Et le procès d'intention n'était jamais loin (surtout dans le cas où ils
considéraient les produits de l'entreprise comme nutritionnellement
incorrects).
Au même moment,
les organismes internationaux, tels que la FAO et l'OMS, et nationaux
enjoignaient les entreprises à participer à une croisade contre l'obésité dont
un des volets était justement l'éducation nutritionnelle. Un autre volet
consistait à favoriser la pratique sportive, une chose pour laquelle les
entreprises agroalimentaires semblaient par contre légitimes, mais qui m’apparaît plus éloigné des compétences intrinsèques des entreprises agroalimentaires.
La légitimité
est le droit que l'on confère à une entreprise ou à une
personne d'agir sur une chose. Lorsque l'on questionne la légitimité de l'action
d'une personne, on se demande de quel droit cette personne-là agit-elle. En
a-t-elle les compétences ? C'est parfois la première question que l'on se pose ?
En effet, le diplôme confère souvent à son détenteur des prérogatives.
Dispose-t-elle d'un quelconque mandat légal ?
La légitimité
établit donc une frontière entre les actions que les parties prenantes
autorisent spontanément l'entreprise à prendre et celles qui lui sont
naturellement interdites ? Elle limite donc le champ d'action des entreprises,
mais elle donne du poids aux actions qui sont dans le champ de la
légitimité.
J'avais un
instant effleuré l'espoir que l'on puisse considérer comme légitimes toutes les
actions qui sont susceptibles d'améliorer une situation, quel que soit celui ou
celle qui en est l'auteur. Ne doit-on
pas juger la qualité des actes et s'interdire de juger, au contraire, la qualité
de leur auteur ? Plusieurs fois, j'ai constaté que cela n'était pas le cas. On
questionne souvent les intentions de ceux qui se commettent à réaliser une bonne
action ! Cela a pour corollaire que la crainte d'un procès d'intention impose
aux entreprises, même celles qui ont les meilleures intentions, de s'interdire
d'agir pour le bien de la société.
Le lecteur ne
saurait sous-estimer le poids des interdits, plus généralement des normes, qu'une société impose souvent à ces
membres ou les comportements qu'elle considère comme conformes et qui s'imposent
alors souvent à chacun selon leur position (on parle de rôle social) et parfois
au-delà. C'est ainsi que, dans l'espace des émotions, chacun se doit d'adopter
les attitudes conformes aux attentes collectives (voir l'excellent livre de B.
Rimé, Le partage social des émotions). Dans la plupart des situations de partage
des émotions, certaines réponses sont considérées comme adéquates alors que
d’autres seront perçues comme inappropriées. Ainsi, lors d'un évènement
dramatique, montrer du désintérêt vis-à-vis de la souffrance d'autrui ou bien
faire des reproches à ceux qui prennent des risques insensés est considéré comme
un comportement inadéquat.
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