jeudi 13 octobre 2011

Mythologies péri-alimentaires (4)

Ce carnet est la suite de Mythologies péri-alimentaires (3)

En 2007, en hommage à Roland Barthes, sous la direction de Jérôme Garcin plus de 40 écrivains prenaient la plume pour partager leurs mythologies. Du speed-dating au plombier polonais, de l'iPod au GPS ou encore de la délocalisation au vélo en ville, ces nouvelles mythologies sont autant de reflets de notre société en ce début de 21e siècle.

L'agriculture et l'alimentaire y font déjà une belle figure avec la mythologie de La Garigette, Les OGM, Le phénomène Ducasse, La capsule Nespresso ou bien avec Le sushi. Mais Nouvelles Mythologies proposent aussi à ses lecteurs d'intéressants récits pour ceux, qui intéressés par le secteur de l'agroalimentaire, souhaiteraient mieux comprendre de manière holistique la société et les phénomènes qui l'animent : La délocalisation, Le vélo en ville, La fièvre de l'authentique, Le déclinisme, La passion des sondages, Les bobos, etc.

J'ai sélectionné de Nouvelles Mythologies Le sushi de Jean-Paul Dubois parce qu'il assure un lien avec les Mythologies que Roland Barthes publiait en 1957.

Le sushi

Jean-Paul Dubois

Comment sommes-nous si vites passés des beurres noirs de Curnonsky à l'épure des nigiris ? Des assiettes de charcuterie aux bouchées des malis ? De la viande de souche aux sachets de sushis ? C'était comme si, après avoir tant mastiqué les entrailles du monde, il s'était abandonné, les mâchoires repues, aux langueurs de la diète, se contentant d'un filet d'algue, d'une noix d'amidon et d'un brin de phosphore. En 1957, Roland Barthes écrivait : « Manger le bifteck saignant représente donc à la fois une nature et une morale [...] La frite est le signe alimentaire de la « Francicité ». » Cinquante ans plus tard, le sushi signe la fin des haricots, l'abandon des huiles bouillantes et la carne rougie au fer de la patrie. Hors du charnier natal, ce vieux pays erre donc désormais au grès des appétits rétrécis flairant distraitement les gamelles du monde. En ce moment la mode est au régime sec, à l'hygiénisme coronarien, au fildéférisme anodisé et à la flûte de shakuhachi (instrument de 54,5 centimètres dont l'échelle de base est ré, fa, sol, la, do) assaisonnée d'un filet de feng shui. Et ce n'est donc pas au hasard si, au gré des recettes, l'on vous précisera toujours les bienfaits de cette nouvelle « jouvence de l'abbé Sushi » : les poissons, ici roulés, sont riches en oméga 3 (acides gras polyinsaturés), le riz regorge de vitamine B1, le soja est le gingembre ont des vertus antiseptiques, le soja ruisselle de calcium tandis que le wasabi, dans sa virulence moutardière, prévient la formation des caries. Il n'en fallait pas davantage pour que cette terre de « francicité », jadis infestée par la goutte, et aujourd'hui en proie au doute, succombe à la savante pharmacopée d'une ordonnance nippone ni mauvaise.

(A suivre ...)

Faites nous part de vos mythiques histoires alimentaires.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Les carnets du blog les plus consultés

Membres